L’actualité est plutôt bien remplie pour Blade runner, le jeu de rôle, avec l’arrivée imminente de la boîte de démarrage en français chez Arkhane Asylum, et la sortie de la deuxième enquête, Fiery angels, en anglais chez Free League (Fria Ligan).
Le livre de base
Le cyberpunk, c’est un mélange de déliquescence et d’attrait pour la technologie. Suivant ses déclinaisons, le genre a plus ou moins bien vieilli, souvent selon son approche de la technologie. Le film Blade runner, s’il est séminal du genre, déplace son questionnement sur la mémoire et l’identité plus que sur une critique du tout technologique. Le jeu de rôle se déroule entre les deux films et sa critique d’un capitalisme effréné est enrichie des conséquences de ce dogme de la croissance.
La société y a évolué au point de craquer et de régresser, entraînant avec elle l’écosystème terrestre. Mais la reconstruction a accentué la fracture technologique et sociale. Moins ils essaient de comprendre, plus les technophobes sont à la ramasse. D’où une justice de classe qui sépare toujours plus une ploutocratie vivant dans les hauts étages et une plèbe dont seul l’espace est une source de fantasmes et d’espoirs. Sur ce monde qui broie ses habitants flotte l’ombre du génial ou opportuniste Niander Wallace, le faux philanthrope.
Le système maison de Fria Ligan a été réduit à une efficacité surprenante, qui le rend aussi mortel. C’est bien un jeu de détectives hard-boiled, structuré autour des personnages, de leurs souvenirs et relations clés. Ils sont des Blade runners, affiliés au LAPD, et c’est là toute leur vie. Leur métier, c’est les affaires liées aux réplicants, dont la nouvelle génération Nexus 9 semble faire le consensus. Leur objectif, ce n’est pas la célébrité ou la puissance mais au moins d’avoir une promotion, sans y oublier leur humanité. L’amélioration humaine typique du cyberpunk est possible mais semble à peine faire le poids face au tout génétique des réplicants.
Les campagnes s’articulent en Affaires (Case files), qui demanderont beaucoup de travail de préparation au meneur (le Game runner) pour créer intrigue, indices et chronologie de l’enquête. Car même si les affaires sont avant tout des déclencheurs pour le cheminement psychologique des personnages, humains ou réplicants, elles ne doivent pas être de simples promenades pour autant. Créateur d’enquêtes, vous serez lourdement sollicités car elles demandent de nombreux intervenants, des lieux et des ambiances. Réveillez les Dashiell Hammett ou Raymond Chandler du futur qui sommeillent en vous!
Quant à l’écrin de ce sombre joyau, ces quelques extraits photos lui rendent à peine justice. Au fil des illustrations, on erre à travers un continuum rappelant Los Angeles aussi bien que Hong Kong, battues par une pluie huileuse, dans une nuit éternelle percée par les phares des voitures de police.
Dommage que le livre de base ne contienne pas un scénario, bien qu’il décrive énormément d’outils pour en créer. Mais le format des enquêtes choisi pour Blade runner déborde du cadre du simple livre.
Le Starter set : Electric dreams…
Comme de coutume maintenant chez Fria Ligan, les Starter sets sont conçus pour être « pas indispensables mais un peu quand même ». En fait ils se construisent généralement autour d’un gros scénario, voire une mini-campagne, accompagné des dés personnalisés du jeu et d’un livret de découverte des règles, idéal pour les joueurs qui veulent découvrir l’univers et ses règles sans divulgâcher les secrets. Le matériel supplémentaire varie d’un jeu à l’autre mais comprend souvent des cartes décrivant des objets, des personnages ou des points de règles et des plans à déployer en jeu.
Le cas de Blade runner est particulier. La volonté des concepteurs est de renforcer le côté investigation. Après tout, les personnages, quel que soit leur profil, épaulent la brigade d’enquêtes de Los Angeles. Le matériel fourni avec chaque enquête est plus fourni: photos de scènes de crime, extraits de presse, plans,… On suit la vague fertile des jeux d’enquête comme Detective, Suspects ou Perspectives mais vus du côté du jeu de rôle. Créer des aides de jeu n’est pas nouveau dans le jeu de rôle mais on dépasse le simple outil d’ambiance pour tendre vers le jeu de plateau.
Le gros scénario: « Electric dreams » ouvre une campagne intitulée « The Immortal Game ». Le Starter set s’avère assez incontournable si on veut introduire la campagne mais ce n’est pas un achat qu’on regrette.
En fait, je conseillerais même de commencer avec le Starter set, qui contient tout ce qu’il faut pour démarrer la campagne, quoique avec des personnages prédéfinis. Le livre de base viendra en renfort pour y utiliser vos propres personnages, approfondir l’univers et ouvrir d’autres fil narratifs pour les joueurs.
Quant au scénario, il introduit d’emblée les thèmes importants du jeu: les différentes générations de réplicants, le suprémacisme humain, la fabrique des souvenirs, la presse, les corporations. De quoi planter un décor varié et presque exhaustif du potentiel du jeu.
Fiery angels
Il vient de sortir en anglais et prolonge « The Immortal game ». L’enquête commence alors que les personnages interrogent un mystérieux cambrioleur qui pourrait être un réplicant.
En s’appuyant sur certains protagonistes rencontrés dans « Electric dreams », ce scénario va plus loin dans le jeu corporatiste et la mythologie réplicante, se permettant même un petit cameo du film original.
Son format est identique aux scénarios « cinématiques » publiés pour Alien : une petite boîte, avec le livret de scénario, des plans mais aussi l’enveloppe d’indices caractéristique des « case files » de Blade runner.
Des réplicants et des aliens
Dans le jeu de rôle Alien, il est difficile de créer la surprise, sachant que la menace principale est connue d’avance. Pourtant, les scénaristes ont réussi à rester fidèle à la mythologie du xénomorphe, tout en y greffant de nombreuses intrigues secondaires, via les campagnes thématiques des Marines ou des Colons.
Blade Runner, le jeu de rôle, se concentrant d’emblée sur un fil rouge lié aux réplicants, demandera le même genre d’effort pour créer un véritable microcosme gravitant autour des personnages et éviter le retour trop vite attendu des protagonistes clefs. De quoi recycler des scénarios cyberpunk en leur ajoutant le sel de Blade runner: une approche plus existentielle.
Des larmes dans la pluie
Blade runner est un jeu exigeant en termes de préparation. Ses enquêtes demandent une bonne vue d’ensemble et une compréhension des liens qui unissent leurs intervenants. Mais par rapport à Alien, par exemple, c’est aussi un jeu plus introspectif qui peut créer de beaux moments car on n’y est pas confronté à des monstres, seulement à des personnes (humaines ou artificielles), écrasées par une société qui s’emballe.
