Tenir une boutique c’est bien, mais gagner sa vie avec une boutique c’est mieux. Chaque année pourtant, on se trompe : on achète des jeux à des éditeurs et ils ne se vendent pas. Pourquoi ? Souvent, ça n’a rien à voir avec la qualité intrinsèque du jeu. Je vais donc ici vous présenter les plus gros flops de ma boutique et tenter d’expliquer pourquoi ça ne s’est pas vendu.
Un jeu de société c’est comme une recette de grand-mère : il y a des ingrédients incontournables, des quantités à suivre, une qualité de produit minimale à respecter. Mais il y a aussi un petit secret, un je-ne-sais-quoi en plus, qui rend la recette unique et intemporelle.
Ah ! Les coquillettes-ketchup de ma grand-mère…
Pour les jeux de société c’est un peu la même chose. Les éditeurs ont poussé les curseurs éditoriaux pour nous proposer des boîtes qui redoublent d’ingéniosité et de bonnes idées. Les prix sont tirés au max et pour 12€ aujourd’hui vous pouvez avoir un jeu hyper qualitatif. Les auteurs/trices affinent des concepts et les retravaillent pour leur donner un goût contemporain. Les artistes fournissent un travail d’illustration incroyable parfois.
Sauf que : 3500 jeux voire plus sortent chaque année dans le monde. Ca fait 10 par jour, même le dimanche. Et donc un tri s’opère, et des jeux sont condamnés à peine une semaine après leur sortie. Il faut que ça cartonne, et vite, pour espérer un second tirage et plus. Le premier tirage devient d’ailleurs de plus en plus timide, pour ces raisons (je crois).
Bref, tout ça pour dire que la concurrence est rude, que ça a globalement tiré les jeux vers le haut, ou vers des propositions plus claires (ou cliché). Et que les flops sont nombreux. Ce n’est pas la qualité des jeux, souvent, qui en est la cause. Ni le timing. Ni les graphismes. Ni l’édition.
Mais c’est en même temps un peu tout ça. J’ai aussi un prisme réducteur car ma boutique ne représente pas toutes les boutiques de France. Petite ville, environnement rural. Je ne suis pas en centre-ville de Lyon ou de Paris. Mon analyse comporte donc des aberrations statistiques très fortes, un jeu qui se vend pas chez moi se vend peut-être bien ailleurs.
La théorie du jeu violet
Ma théorie est donc la suivante : un jeu qui flop sans raison évidente est souvent un jeu violet. C’est simple, et ça marche à tous les coups ! Le violet est officiellement la couleur maudite des jeux de société. Pour se vendre, un jeu violet doit être excellentissime, sinon il subit la malédiction. Et je vais vous donner plein d’exemples qui prouvent mon propos, sans aucune mauvaise foi. Hum.
Le Diable dans la Bouteille
Grosses attentes et pourtant gros flop avec ce jeu de plis estampillé Matagot. Pourtant Bottle Imp a plein d’atouts : c’est un jeu de plis très rejouable, pas cher, joliment illustré par Maxime Morin (Codex, Faraway). Les sensations sont bonnes, mais le mix jeu de plis + graphismes (que perso j’adore) ont peut-être fait que le jeu n’attire pas ? Certes les règles sont un problème, même si le jeu était livré avec un livret correctif, mais elles ne sont pas un problème préalable à l’achat ?
C’est aussi un jeu avec une certaine profondeur, qui demande plusieurs parties pour en comprendre la saveur. C’est peut-être ça qui le plombe, ces premières parties ? Ca reste mystère pour moi !
Infiltraîtres
Oh un jeu violet qui flop ? C’est le premier de cette liste. Cet Infiltraîtres est pourtant doté d’un gameplay correct, mais il y a un je ne sais quoi dans son packaging qui fait qu’il ne se vend pas chez moi. Un je ne sais quoi violet !
Diluvium
Le pitch est bon, les graphismes aussi, la promesse du 4X en une heure ambitieuse…Mais ce Diluvium, ne retient l’attention d’aucun de mes clients, car la proposition est peut-être légère pour les experts, et lourde pour les initiés ?
Trekking Through History
Hey un jeu violet ! L’édition est plutôt ok, le pitch du jeu un peu moins sexy déjà, une sorte de timeline à objectifs, et le gameplay assez moyen au final. Je schématise à mort mais Trekking ne soulève pas les joueurs d’enthousiasme. Si en plus il a une couverture violette, c’est foutu : et c’est le cas. En tout cas très difficile à vendre !
Puerto Banana
Je trouvais le pitch très cool, et la couv’ bien accrocheuse. Mais là, honnêtement, on fait le tour de ses mécaniques assez vite, et ce jeu d’enchères illimitées a fait un énorme flop. On en a acheté beaucoup trop pour le potentiel du jeu. Il a même pas besoin d’être violet !
The Heist
Encore un super jeu, magnifiquement édité, avec un pitch hyper vendeur. Mais ce Ocean Eleven JDR ne trouve pas preneur, probablement à cause de son budget de 100 balles qui fait peur pour cette expérience entre jeu de rôle et jeu d’ambiance ? Sinon tout est bien dans The Heist, tous les ingrédients sont très bons ! Dommage en tout cas, j’aimerais en vendre des cartons entiers, je n’en vends pas un.
Sync or Swim
Avec ses mécaniques incroyables, et son ambiance à table complètement inédite, Sync or Swim avait tout pour cartonner. Propulsé par Simon du Passe-Temps, le jeu s’annonçait sous les meilleures auspices lorsque iello a pris la localisation. Tout personne qui avait joué à Sync Or Swim voyait son énorme défaut : une édition cataclysmique, en mode word-art du pauvre.
Pourtant le thème a un super potentiel : la natation synchronisée. C’est décalé, c’est frais, c’est une superbe idée. Encore faut-il le mettre en oeuvre avec une direction artistique digne de ce nom. Iello n’y a pas touché, je ne sais pas si c’était volontaire ou pas, mais c’est une énorme erreur ! Le jeu est littéralement impossible à vendre avec cette tronche.
Kraftwagen
Un jeu sur l’automobile, dont les mécaniques marchent bien (encore heureux), avec une couverture très ambitieuse dans un exercice de style rétro. Super, ça fait de Kraftwagen une jolie boîte sur une étagère, mais que personne n’achète. Je pense que le nom allemand du jeu et la thématique ne parlent pas trop, et en plus la couv est un peu violette sur les bords.
Traître Mot
Deuxième jeu Blue Orange invendable de ma boutique avec Traître Mot, que j’explique par son gameplay moyen et sa tronche violette-emojis qui ne propose pas grand chose.
Inheritors
Le duo Jeffrey CCH (l’auteur de Eila, d’Age of Galaxy ou de Terrorscape) + graphismes sympa nous on fait acheter pas mal de boîtes à mon associé et moi. Et pourtant gros flop. Encore une fois, pas la faute du jeu : il est beau, il est à un prix correct, il a des mécaniques plutôt cools. Peut-être qu’il est un peu trop moderne pour une clientèle rurale ?
En tout cas, le mélange n’a pas fonctionné chez nous en termes commerciaux ! Il ne reste donc qu’une seule explication : un bon jeu dans tous les aspects qui se vend pas doit forcément être violet. C’est le cas !
Pampero
Si vous cherchez un T2 avec mezzanine et véranda, venez habiter dans la boîte de Pampero, énorme jeu avec une superbe édition et un gameplay qui semble à la hauteur (je ne l’ai pas joué). Cependant, convaincre des clients de mettre 100€ dans un jeu d’éoliennes en Uruguay n’est pas chose aisée…
Quicksand
Encore un jeu à sabliers, qui marche plutôt bien sur le papier. Sa boîte verte/orange et ses graphismes ne l’aident pas à mon sens, et Quicksand s’est perdu dans mes rayons. Il ne part ni en soldes, ni en braderie, une cata.
Now!
Le petit jeu de cartes du Scorpion Masqué est plutôt sympa, assez bien édité, et pourtant c’est un gros flop chez moi. Ces petits jeux avec cartes à numéros en mode Skyjo-like il faut peut-être arrêter, il y en a trop et à moins d’avoir un twist imparable dans la mécanique, c’est dur à vendre.
Charlatans de Belcastel Duel
La palme du jeu moche revient à Charlatans de Belcastel Duel, et c’est une marque de fabrique chez Schmidt : un concours permanent des graphismes les plus éclatés au sol. Pourtant le jeu emprunte aux Charlatans à peu près tout, il marche bien. Mais comment vendre une horreur pareille ?
Inori
C’est un peu précipité mais Inori est en passe d’être un flop chez nous. Le jeu est bon, et beaucoup plus retors qu’il n’en a l’air. Je ne comprends pas pourquoi il ne se vend pas, je pense qu’il est presque trop japonais éthéré, et qu’il s’est heurté à plein d’autres jeux vers Noël.
Mind MGMT
Encore un super jeu qui est boudé par les clients ! Mind MGMT est issu d’un comics, c’est un jeu du chat et de la souris entre des malfrats et des agents secrets avec pouvoirs mentaux. Je trouve que la boîte est super belle, que le gameplay est assez convaincant. Mais la licence est trop pointue pour être reconnue. Dommage.
Dorf Romantik Duel
La série des jeux Duel commence à m’exaspérer, et ce Dorf Romantik en est le meilleur exemple. Tout est moins bien que le jeu coop à mon sens, et Dorfromantik n’était pas assez implanté (malgré son Spiel) pour mériter un spin-off Duel.
Sur les Traces de Marie Curie
Je finis avec ce Marie Curie, qui encore une fois possède beaucoup d’ingrédients qualitatifs : édition parfaite, thématique ambitieuse, gameplay maîtrisé. Mais le jeu ne se vend pas chez moi. J’imagine que c’est l’écart de difficulté entre Sur les Traces de Darwin et lui qui lui a fait viser la mauvaise cible ? Ou que la thématique n’évoque rien au grand public en termes ludiques ? Je ne sais pas, mais chez nous c’est un flop !
Mais attendez, quelle est la couleur de la boîte ? Et oui, la voilà la vraie raison !
Alors ? Qui adhère à cette théorie du jeu violet maudit ?
Maudit mot dit, une magnifique boite… violette et un véritable carton !
L’exception qui confirme la règle ? 🙂
Je tape « logos des cent plus grandes marques » dans mon moteur de recherche et je matte la page « images » des résultats. Ok. Bon. Là, mon regard de graphiste senior constate que y’a carrément aucun violet. Parfois, un logo LG normalement bordeaux se tape une vague teinte violette quand sa colorimétrie a été chahutée, mais sinon, queue d’ale, nada, rien, la solitude dans l’espace infini glacial et silencieux.
Par contre ça grouille de rouges et de bleus, de quoi se taper une indigestion.
Du côté de ma ludothèques à deux cents jeux, seul 4% contiennent plus d’un quart de violet ou pourpre ou magenta vaguement bleuté sur leurs boites.
Ok.
Doit y’avoir un truc.
Vous avez raison.
Mais vous n’aurez JAMAIS ma boite de Pingouins Version de Luxe ! Vous m’entendez ? Jamais !
Par contre, la Big Box Century, c’est quand vous voulez. Le violet indique bel et bien qu’elle est à fuir : très mal éditée, elle n’apporte rien par rapport aux trois boites de la trilogie !
Merci à toi, graphiste senior !