Le monde ludique est en émoi après avoir découvert la boîte de Leaders, un nouveau jeu de société pour 2 joueurs, dont la qualité d’édition est tout simplement stratosphérique. Comment ont-ils réussi à faire un jeu aussi beau, aussi abouti dans son matériel, pour un prix boutique de 24€ environ ? J’ai imaginé pour ça plusieurs questions, auxquelles vous trouverez deux réponses : celles que j’ai déduites de mon côté, et celles qu’Hicham Ayoub Bedran, directeur de Studio H, m’a données, bien réelles.
Leaders, un joyau éditorial
Avant de questionner le prix de Leaders en rapport avec son matériel, il faut savoir de quoi on parle. Alors voici les éléments qui sautent aux yeux dans cette édition magnifique !
Une couverture démentielle
Naïade a fait un boulot de dingue sur cette couverture. Les deux leaders et les personnages imbriqués en calques superposés, qu’une touche de couleur rose sublime, c’est déjà fou. Si je rajoute cette typo dorée absolument parfaite, qui reprend les couronnes des Leaders, la forme du plateau, et les noms d’Hugo Frénoy et de Naïade…c’est du grand art, et pas seulement grâce à l’illustration.
Tout est fin, équilibré, à sa place. Il n’y a rien à changer, à améliorer : cette couverture de boîte est un chef d’oeuvre.
Des illustrations d’un autre monde
Naïade fait en général toujours un travail de qualité : Looot, Rivages, Dead Cells, Tokaïdo, Diferencio, Seasons, Lords of Xidit, Similo…Il ne déçoit jamais et j’imagine que tous les éditeurs qui bossent avec lui sont toujours contents. Je pense que Leaders est son meilleur jeu, tant ses illustrations sont incroyables. Pourtant je déteste les standees mais là dans un jeu comme Leaders ça fonctionne à la perfection. Leaders ce sont aussi des détails, des textures sur le fond beige de la boîte, des cadres avec des entrelacs discrets mais tellement bien réalisés.
De belles illustrations ça compte beaucoup, mais une mauvaise typo ou une iconographie éclatéee ça peut briser toute la magie d’un jeu. Dans Leaders, tout s’imbrique parfaitement.
Une boîte ergonomique
La boîte de rangement de Leaders est parfaite elle aussi : chaque élément du jeu est à sa place, avec un tiroir pour les standees, qui ne bougent donc pas, et qu’on a pas à démonter à chaque partie. Des standees dont le socle est en bois, ce qui rajoute une touche de classe à Leaders. Le tiroir c’est déjà ergonomique comme idée, mais en plus ce tiroir a une petite languette pour pouvoir le sortir facilement, et il est calibré à l’intérieur pour accueillir vos standees et les coincer légèrement. Chaque standee ayant un emplacement délimité par une illustration idoine.
Le plateau et les cartes ont aussi leur emplacement dédié, bien délimité.
Doré et vernis sélectif
Des reflets dorés et des noirs brillants pètent à la tronche quand on regarde le matériel de Leaders. Le dos des cartes est couvert de vernis sélectif 3D, un procédé qui rend une surface choisie brillante (le vernis) et qui ajoute une épaisseur à cet endroit (3D). Un procédé bien connu depuis longtemps chez les imprimeurs, mais qui est utilisé avec justesse dans Leaders. Ni trop, ni trop peu.
Tous ces éléments donnent à Leaders une impression de finition extrême, un effet wow, car chaque détail est soigné. Et on a déjà vu des éditions de cette trempe, mais dans des jeux issus de kickstarters (souvent) et dans des boîtes à 60, 90, 150€ ! Jamais à 24€.
Alors comment ont-ils fait chez Studio H ? Voici mon analyse…et les vraies réponses par le directeur du Studio H, Hicham Ayoub Bedran.
Un deal avec intéressement avec l’auteur et l’illustrateur ?
Idée : Pour minimiser les frais de développement du jeu, il est possible que Studio H ait proposé un deal qui réduit la rémunération de l’auteur et de l’illustrateur AVANT publication du jeu, mais qui augmente leur rémunération au global si le jeu se vend bien, avec un intéressement plus avantageux.
Je ne pense pas que l’auteur ou l’illustrateur accepte ce genre de deal, et je ne pense pas que les coûts liés à leur rémunération soient si élevés dans le process global.
Probabilité : 1/5
Hicham : Oui c’est faux, car paradoxalement, augmenter l’intéressement ferait augmenter le prix d’un jeu, car les risques pris par l’éditeur seraient plus grands. Les coûts fixes comme la rémunération des auteurs ou des graphistes sont absorbés très rapidement, donc l’éditeur n’a pas de réel enjeu à vouloir les diminuer.
Des choix graphiques malins
Idée : Cette édition de Leaders est définitivement qualitative, mais la quantité de matériel n’est pas énorme. L’éditeur a probablement trouvé des process malins pour rendre le jeu très sexy, sans que ça coute trop cher. Je sais par exemple que le foil ne coûte pas très cher, et par conséquent je ne pense pas que le vernis sélectif le soit non plus. En vrai, je le sais car dans mon précédent métier de graphiste je faisais imprimer des tas de support en vernis sélectif 3D et c’était tout à fait abordable.
Probabilité : 4/5
Hicham : c’est exactement ça, nous avons cherché des procédés éditoriaux qui ont un effet visuel immédiat et marqué. Le doré et le vernis sélectif ça se fait depuis longtemps en impression. En fait, il y a pas mal de choses qui se font dans le livre et qui sont très créatives. Le tiroir de rangement ça rend bien dans Leaders, et on est contents de voir que ça matche avec l’ergonomie du jeu, mais c’est quelque chose qui se voit déjà ailleurs dans le domaine du livre. Les éléments qui ont le plus coûté finalement ce sont les socles en bois. Aussi, quand je vois ce que font nos voisins de Sorry We Are French, ou Repos Prod récemment avec For a Crown, je me dis que l’édition des jeux en France est tirée vers le haut et que ça crée une sorte d’émulation !
Le jeu était prêt à signer/éditer avec zéro R&D dessus ?
Parfois, le temps de développement d’un jeu peut engranger des frais conséquents. J’imagine que quand on met Bauza/Rivière/Maublanc/Lebrat sur Dead Cells pendant deux ans, ce n’est pas la même chose qu’un jeu qui arrive prêt à éditer. Je pense que Leaders devait être assez abouti de la part d’Hugo Frénoy, dont c’est par ailleurs le premier jeu. De là à penser que ça influe sur le prix du jeu, je ne pense pas…
Probabilité : 2/5
Hicham : alors oui le jeu était assez abouti lorsqu’on l’a signé, et notre travail a porté sur l’équilibrage des personnages. Mais chez Studio H, tout le travail fait en interne n’est pas découpé en x heures par projet. Donc on ne saurait même pas quantifier réellement le coût de développement des équipes internes sur ce projet en particulier.
Le jeu a une politique de prix agressive ?
L’éditeur a-t-il rogné un peu sur sa marge pour proposer un prix plus attractif ? En tout cas je ne vois pas comment l’inverse serait possible ! En cumulant de bonnes idées éditoriales, avec un jeu potentiellement pas trop cher à produire, Studio H a certainement tenté une sorte de pari avec une rentabilité sur le volume.
Probabilité : 4/5
Hicham : Déjà, le type de jeu d’affrontement deux joueurs demande un prix pas trop élevé, on le sait. Nous avons essayé de créer une win win situation en éditant un jeu à succès potentiel. Ce prix agressif, cette qualité éditoriale, on espère que ça va lancer le jeu de manière durable sur un marché assez saturé. Du coup au lieu d’un retirage à 1000 exemplaires (chiffre fictif donné à titre d’exemple), on espère que celui-ci ce sera plutôt 5000. Un jeu à succès justifie des marges un peu moins grandes, si on réussit à l’installer dans la durée.
Comment éditer un banger ?
Leaders est pour moi le témoin d’un secteur en constante mutation. Tenter d’éditer un banger aujourd’hui demande beaucoup de maîtrise : il ne suffit pas d’embaucher un auteur et un graphiste renommé ou de compter sur une mécanique de jeu. La direction artistique, le game design et les choix éditoriaux d’un projet doivent concourir ensemble à la fabrication d’un objet qui se démarque, dans un océan de propositions ludiques.
Mais là où le marché américain par exemple propose une démarcation par la deluxification, avec des jeux vendus sur Kickstarter/Gamefound à 300€, l’éditeur français doit lui optimiser un jeu pour une économie très serrée. Le line-up des éditeurs cette année à Cannes en est la preuve, et suit une tendance constatée depuis deux ans : le prix moyen des jeux est à la baisse, et la grande majorité des boîtes est affichée à moins de 20€.
Que peut-on faire tenir dans un prix serré ? C’est le défi éditorial que les studios doivent relever, et ils le font d’ailleurs avec brio : Leaders, Bomb Busters, Looot…les exemples de bombes éditoriales se multiplient, et comme disait Hicham, définissent de nouveaux standards à chaque fois.
Quand Sky Team de Scorpion Masqué invente le plateau double-couche à monter soi-même, c’est une superbe trouvaille et je pense que ça devrait devenir un standard. Quand Leaders propose un tiroir pratique pour le rangement, ça doit se populariser dans le futur. Le récent Lacuna est aussi une petite pépite d’édition avec un couvercle bec-verseur très bien vu.
Les éditeurs doivent jouer entre format et prix attendu pour se démarquer, et quand ce n’est pas le cas, les risques de flop sont plus grands. Je pense à Galiléo Project, une véritable bombe éditoriale de chez SWAF, un jeu beau à crever, mais qui était proposé à 55€ dans un format/prix attendu à 35. Cette prise de risque n’avait pas été récompensée.
Aujourd’hui, un banger, c’est très dur à sortir car il faut rassembler :
- une mécanique qui est soit originale soit très bien huilée
- des graphismes qui en font un objet de désir (ça peut être sobre, riche, coloré ou autre, mais ça donne une tronche au jeu)
- une édition ergonomique, optimisée
- un prix contenu, qui donne l’impression d’avoir plus que ce qu’il signifie
Voilà, et au milieu de ça, il y a Skyjo, qui nous donne une leçon d’humilité, et qui montre que la vie n’est pas qu’équations et rationalité !
Merci beaucoup Hicham et Studio H d’avoir pris le temps de me répondre !
Je laisse assez peu de commentaires et ai tendance à simplement parcourir les articles. Mais l’originalité dans le format et la construction de cet article méritait d’être relevé ! J’ai trouvé ça à la fois super malin et super intéressant d’avoir des suppositions confirmées (ou pas) par l’éditeur.
Donc bravo pour cet article concept à réutiliser sans doute ^^
Sinon j’en profite : un grand merci pour le taff et tous ces articles ! Manquerait presque un système d’émoticons (vu chez des « concurrents » d’ailleurs) pour rapidement partager un ressenti sur un article sans pour autant laisser un commentaire 😉
Hello et merci beaucoup 🙂 Je vais réfléchir à un système de poce bleu du coup c’est pas con !