Réussir à trouver un thème innovant et des mécaniques originales devient de plus en plus difficile, dans un secteur qui sort bientôt 1000 jeux par an. C’est pourtant ce que réussit à faire Sky Team, un jeu coopératif pour deux, dans lequel vous incarnerez un pilote et un co-pilote, tentant de faire atterrir un avion de ligne. Immersif, novateur et très bien édité par Scorpion Masqué, le jeu de Luc Rémond bouscule les habitudes avec un gameplay frais et une difficulté croissante.
C’est quoi Sky Team ?
Sky Team est un jeu coopératif à deux exclusivement, dans lequel un joueur ou une joueuse remplit le rôle de pilote, et l’autre du co-pilote. Chacun dispose de 4 dés à 6 faces, à lancer au début de la manche derrière son paravent. Chaque dé devra être posé sur des emplacements de son côté du plateau. Sky Team est un jeu partiellement muet. Il est interdit de communiquer sur la valeur de ses dés, et interdit de parler tout court une fois le premier dé posé.
Dans Sky Team vous allez devoir gérer différentes zones du plateau pour mener votre avion à bon (aéro)port :
- une zone de roulis
- une zone de réacteurs
- une zone de freinage
- une zone de tour de contrôle
- une zone de train d’atterrissage pour le pilote uniquement
- une zone de volets pour le co-pilote uniquement
- une zone de café, pour gagner de la concentration et modifier la valeur d’un dé de +1 -1
A chaque tour vous allez placer vos dés pour agir sur votre avion, et gérer la piste d’atterrissage qui se profile devant vous. L’objectif est de remplir les conditions d’atterrissage lors de l’ultime tour : pas d’autres avions sur la piste, altitude à zéro, roulis et freinage ok.
Un matériel de classe business
Ayant reçu le jeu en avance pour préparer cette critique, j’ai été surpris par l’ingéniosité éditoriale du Scorpion Masqué. Pourquoi ? Car le jeu sera vendu autour de 28€. Alors qu’il est livré avec 9 dés, des avions miniatures, un tableau de bord double-couche, des modules en carton eux aussi, des paravents imprimés et…des petits adhésifs double-face.
L’édition est généreuse et astucieuse, car le gameplay est basé sur le placement de dés sur le tableau de bord. Obligation d’avoir du double couche pour que les dés tiennent bien en place et…le tableau de bord est un simple carton. Mais juste en le pliant et en le collant avec les petits adhésifs, on obtient une double épaisseur.
Cette double épaisseur n’est pas que visuelle : elle permet de bien caler les dés d’une part, mais aussi de faire glisser deux réglettes essentielles au gameplay de manière smooth. Ce serait bien que beaucoup d’éditeurs s’en inspirent, pour garder des jeux accessibles en prix et dotés d’une ergonomie optimisée. Bien vu le Scorpion !
Le reste de l’édition est tout aussi qualitatif : la clarté des règles, l’ingéniosité des modules et extensions, les scénarios, l’iconographie et la dualité de couleur pilote/co-pilote est limpide. Je rajoute à ceci l’excellent travail d’Adrien Rives sur la partie graphismes, avec une couverture de boîte épique et descriptive, et une approche réaliste des illustrations.
Des mécaniques bien carénées
Le gameplay de Sky Team repose sur plusieurs piliers, très simples à assimiler. Le premier c’est la dualité et l’équilibre : dans Sky Team un joueur prend le rôle de pilote, l’autre celui de co-pilote. Chaque rôle a sa propre couleur de dés, et son propre côté du plateau. Comme dans un avion tiens. Le jeu va ensuite vous demander de poser un dé à tour de rôle, dans certaines zones obligatoires, et dans d’autre zones facultatives.
La valeur de vos dés va influencer sur le roulis, l’assiette, l’accélération, le freinage, et tout un tas d’autres éléments à gérer, ou à activer. Des micro-dilemmes en permanence. Là où Skyteam est fort, c’est que vous devrez faire tout ça…sans avoir le droit de parler. C’est l’autre élément de gameplay majeur : vos dés sont derrière un paravent, votre co-pilote ne pourra pas les voir et vous allez devoir estimer une stratégie commune de manière instinctive. Il y a parfois des moments The Mind ou Sync or Swim dans Sky Team. De l’intuition. On planifie avant, et on vit avec. Ou on meurt.
Le jeu va vous proposer de jouer avec ces notions d’équilibre, avec des dés à poser de valeur plus ou moins égale, mais aussi un gameplay asymétrique sur d’autres zones du plateau. Le pilote gère le train d’atterrissage, le co-pilote les volets hypersustentateurs. Le pilote gère le freinage, le copilote gère (un peu plus) la tour de contrôle.
L’ensemble de ces paramètres vous demandera des ajustements de dés, pour bien gérer la perte d’altitude, la vitesse, et faire matcher ces paramètres. Parce que c’est mieux d’atterrir sur la piste d’atterrissage que trois kilomètres avant, ou après.
20 minutes pour atterrir
Un autre point fort de Sky Team, c’est dans la variété et sa modularité. Plusieurs scénarios du livret vous placent dans des situations de départ compliquées, différents aéroports vous proposent un challenge de facile à piste en pente glacée barbelée entre deux immeubles. Par ailleurs, des modules viennent pimenter les parties pour les Mavericks de canapé : perte de kérosène, conditions météo, gestion du vent.
Le jeu donne donc un bon sentiment de progression, d’anticipation, et la difficulté progressive offre un challenge dont le curseur s’étale de familial à hardcore. Une partie de Sky Team dure 20 minutes environ, ce qui renforce le sentiment d’urgence, et l’epicness d’un atterrissage réussi.
Une grande portance ?
La durée de vie de Sky Team est à mon sens assez énorme, mais assez particulière. J’estime que c’est le seul petit bémol du jeu : même avec de la variété, des modules supplémentaires, des scénarios, les sensations restent identiques. Je ne me vois pas enchaîner des parties. En revanche, sortir le jeu de temps en temps et essayer de « finir » le jeu et de venir à bout des scénarios, des aéroports : oui. Quoi qu’il en soit le jeu est tellement peu cher pour ce qu’il propose que même 7 ou 8 games le rentabilisent.
Sky Team reste généreux en contenus, en variété, mais son gameplay aussi bon soit-il est un peu répétitif dans une optique de ponçage du jeu en enchaînant les parties. Mais sur la durée, un petit Sky Team de temps en temps, alors je dis oui !
Les modules de Sky Team
Kérosène
Ce module se compose d’une jauge de kérosène et d’un curseur. Vous devrez poser un dé sur l’emplacement prévu pour limiter la perte de kérosène, sinon vous en perdrez 6 par tour sur une jauge de 20. Soit 4 tours avant la panne sèche. Et le kérosène c’est utile, apparemment.
Stagiaire
Former un stagiaire pendant un vol n’est-il pas le meilleur moyen de le faire progresser ? Bon ok on se crasher mais il sera formé. Ce module vous fait placer des dés sur la piste de stage, vous donnant un token du même chiffre que le dé posé. Ce dé servira à remplacer un autre de vos dés. Mais comble de l’édition, le stagiaire ne peut pas faire de café ! Quelle est cette hérésie ? Il sera juste bon à regarder un film sur les gladiateurs en soute pour le vol retour.
Vent
Ce module vous fera ajouter la force du vent sur un cadran, et ceci sera reporté lors de la phase de réacteurs, modifiant ainsi votre vitesse. Un cran de réglage en plus, comme si la montagne qui se profile devant nous ne suffisait pas !
Freins de glace
Ce module remplace la zone de freins habituelle, et vous demandera de poser des dés de même valeur de chaque côté. Skyzofreine, tu vas trop vite !
Vous pouvez aussi jouer en temps limité, ou avec une fuite de kérosène, en vous bandant les yeux, avec des moufles à clous ou en parlant seulement en verlan mandarin si vraiment vous tenez à vous flageller. Car l’avionique.
Les scénarios de Sky Team
Après quelques parties, vous pourrez feuilleter le Carnet de Vol pour tenter des scénarios. Ces scénarios sont des mises en place un peu particulières, qui vont agrémenter votre partie en vous indiquant quels modules utiliser, combien de cartes compétences seront autorisées. Au nombre de 21 sur le carnet, ces scénarios seront aussi alimentés par la version en ligne ici.
Pour qui est Skyteam ?
Sky Team réussit déjà le pari de l’accessibilité. Vous pourrez y jouer en famille, vous pourrez y jouer avec des enfants, avec des gens qui découvrent le jeu de société. Les initiés y trouveront leur compte aussi, avec des scénarios, une difficulté qui décolle. Et les experts verront en lui un bon filler, un bon jeu à deux coop bien retors dans ses variantes.
Papa Tango Charlie
Alors est-ce que Sky Team a du chien, ou du fox ? Absolument. Luc Rémond a pondu un jeu unique, dans sa thématique et son gameplay. On a rien joué avant qui soit du Sky Team. Son matos, son gameplay, ses sensations le rendent unique et frais, dans le millefeuille ludique actuel composé de strates d’ouvriers posés et de cartes deckbuildées. Au contrail, Sky Team n’est pas formaté, il offre une proposition différente, qui réussit de plus le grand écart familial-expert avec une modularité exemplaire.
Scorpion Masqué a eu le nez creux avec ce jeu au fuselage brillant. La stratégie éditoriale de le rendre accessible dans un prix très contenu, sans sacrifier ni ergonomie ni qualité de matériel, est tout simplement remarquable. Le gaver de contenus, le rendre beau avec le choix d’Adrien Rives aux graphismes sont autant de qualités supplémentaires.
Sky Team est un excellent jeu, bien édité, novateur et gavé de contenus. L’un de ces jeux importants qui rameutent du monde autour du jeu de société. Si vous aimez les jeux coopératifs, les jeux à deux, et les jeux qui donnent du challenge, foncez.