Un nouveau livre de Michel Pastoureau, historien médiéviste, ça ne passe pas inaperçu ! surtout s’il nous parle de rose. Cette semaine je vous présente son livre sur une couleur qui ne laisse pas indifférent tout comme la couverture du jeu Farm club, car du rose au cochon il n’y a qu’un pas et ce n’est pas Michel Pastoureau qui me contredira.
Rose, histoire d’une couleur
Michel Pastoureau, historien reconnu pour son étude des couleurs, continue son exploration des nuances chromatiques. Après avoir écrit sur le bleu, le noir, le vert, le rouge, le jaune et le blanc, il publie « Rose, histoire d’une couleur » aux éditions du Seuil. Dans ce livre, il examine le rose, une couleur complexe souvent tantôt admirée, tantôt méprisée par la culture européenne.
Dès l’âge de 13 ans, une aversion pour un blazer bleu marine « pas tout à fait marine » révèle sa sensibilité exacerbée aux couleurs, un trait que sa famille qualifiait de « caprices chromatiques. »
Cette sensibilité exacerbée, il en fera son sujet d’étude.
« J’appartiens à une génération d’historiens où le chercheur devait se conformer à des devoirs envers la société. Se faire plaisir avec ses sujets d’étude n’était pas vraiment envisageable. »
Le rose : une vraie couleur ?
La question de savoir si le rose est une « vraie » couleur revient fréquemment. Pour la physique, le rose n’existe pas dans le spectre solaire et est simplement une nuance de rouge. Cependant, pour Pastoureau, le rose est bien une couleur : « Ce qui définit une couleur, c’est ce que la société en fait. »
Dans la Rome antique, le rose apparaissait dans les tuiles et mosaïques, mais il n’avait pas de nom. Au Moyen Âge, il était admiré dans la nature et utilisé en peinture, mais il a fallu attendre le XVIIIᵉ siècle pour que son appellation soit stabilisée, notamment grâce à l’importation de bois de brésil d’Inde et d’Amérique du Sud.
« Les choses changent quand on importe massivement d’Inde un colorant qu’on connaissait déjà, mais qu’on utilise de manière nouvelle : le bois de brésil (…) Il va d’ailleurs donner son nom au pays, parce qu’on trouve dans le nord de l’Amérique du Sud des bois exotiques encore plus performants du point de vue tinctorial que les bois asiatiques. »
Dans les années 1770, le rose dominait les décors et la mode, et au XIXᵉ siècle, le romantisme l’a associé aux sentiments amoureux. Cette association a été popularisée par le roman de Goethe, « Les Souffrances du jeune Werther ». Dans les années 1960, la poupée Barbie a renforcé ce lien avec son rose emblématique.
Le rose devient alors lié à la féminité, bien que cette genrification soit récente.
« Comme nos feuilletons télévisés aujourd’hui, le roman lance des modes vestimentaires(…) Goethe décrit l’habit de Werther, bleu avec des culottes jaunes, et la robe de Charlotte, qui est blanche avec des rubans roses. Et pendant deux ou trois générations, tous les jeunes gens d’Europe à la mode vont s’habiller ainsi. Le rose va devenir très fréquent dans le vêtement féminin et l’association entre le rose et la jeune fille va perdurer, alors qu’auparavant, ce n’était pas une couleur genrée, comme on dit. »
Du rose au cochon il n’y a qu’un pas…
Dans une interview donnée sur France Inter on apprend que Michel Pastoureau était champion de France d’échecs au lycée, qu’il pratiquait le lancer de disque à l’université et que le cochon est son animal préféré parce qu’enfant, il « gratouillait le dos des cochons » de la ferme voisine en Basse-Normandie.
Michel Pastoureau évoque son affection pour le cochon dans son livre Histoire d’un cousin mal aimé (Gallimard). Il y retrace l’histoire du porc sauvage, domestiqué dès -7000, jusqu’aux porcheries modernes. Il analyse aussi les tabous religieux et symboliques qui entourent cet animal, tout en soulignant sa proximité biologique avec l’homme
« Il y a des relations biologiques et physiologiques entre le cochon et nous (…) c’est notre cousin le plus proche (…) La médecine emprunte énormément au cochon. Depuis l’Antiquité grecque en passant par la médecine arabe jusqu’à aujourd’hui, ce n’est pas aux grands singes qu’on emprunte pour des greffes de peau, des greffes d’organes, etc.”
Pastoureau met également en lumière l’ambivalence du cochon, symbole de courage (sanglier), de prospérité (tirelire), mais aussi de vice (cochonnerie). Aujourd’hui, les cochons sont déshumanisés, réduits à des produits de consommation. L’historien déplore l’oubli de leur histoire, de leur symbolique et de leur rôle autrefois central dans la vie paysanne.
Qui a le courage de rappeler qu’avant d’être un produit de consommation le cochon était un animal vivant, intelligent, sensible, anatomiquement et physiologiquement cousin très proche de l’être humain ?
Cette double réflexion sur les couleurs et les animaux révèle la capacité de Pastoureau à éclairer notre passé pour mieux comprendre notre rapport au monde.
Farm Club
A la sortie du jeu j’étais fasciné par cette boîte toute rose avec une tête de cochon!! pas vous ? Dans Farm Club, les animaux ont pris le pouvoir et vont s’organiser pour remplacer le fermier. Afin de montrer leur efficacité, ils devront se placer judicieusement pour être capable de produire les meilleures récoltes.
Il va donc falloir choisir et organiser judicieusement les animaux de la ferme de manière à atteindre les différents objectifs collectés au cours des 9 manches du jeu. A son tour, chaque joueur choisit parmi les lots disponibles (animal + objectif).
On place l’objectif devant soi et le pion animal sur 1 des 8 cases de son plateau dans un emplacement vide. On peut récupérer des jetons oiseaux en mettant le bon animal dans son enclos de prédilection. La carte objectif récupérée peut être posée devant soi pour des points en fin de partie ou défaussée pour pouvoir déplacer un pion animal dans la ferme.
Au début de son tour on peut défausser un jeton oiseau pour renouveler la rivière des cartes objectifs ou les jetons animaux associés. Élire un meneur ne pourra être réalisé qu’une fois dans la partie. On prend alors un animal meneur disponible et une carte clan que l’on pose à côté de son plateau. La carte clan est une carte objectif comme les autres. Le meneur est installé lui dans la maison du fermier et ne bouge plus.
Fin de partie
Après 9 manches, lorsque tous les joueurs ont rempli leur plateau « ferme », la partie se termine. Chaque joueur compte ses points en fonction des objectifs accomplis et ajoute les points bonus des jetons oiseaux non utilisés.
J’aime Farm Club pour sa simplicité et son accessibilité. Ça reste décontracté et en même temps assez tactique avec pas mal de subtilités pour optimiser un maximum et être moins tributaire du hasard de la pioche.
L’édition est top : N’ est-il pas beau Napoléon le cochon ?
Farm Club de Alexandros Kapidakis, illustré par Jeanne Landart et Gaétan Noir chez Blam