Un éditeur de premier plan, Stonemaier Games a récemment pris position contre l’utilisation de l’IA dans le processus créatif de ses jeux. Une décision qui soulève des questions importantes sur les notions de propriété intellectuelle et de plagiat. Et qui s’ajoute à un débat par ailleurs controversé, notamment à cause de Hasbro qui injecte de l’IA dans ses licences Magic ou DnD. Même si l’IA s’infiltre dans de nombreux aspects de notre vie, et parfois pour le mieux dans des secteurs comme la médecine, de quelle manière affecte-t-elle le microcosme ludique ?
La position de Stonemaier Games sur l’IA dans les jeux de société
Siphon de créativité
Stonemaier Games, une entreprise reconnue pour des titres comme Red Rising, Wingspan, Libertalia, Scythe et prochainement Wyrmspan, a clairement affirmé son engagement à exclure l’utilisation de l’IA dans la création de ses jeux. Cette décision s’ancre dans la philosophie de Jamey Stegmaier, co-fondateur de l’entreprise et designer du jeu Scythe, qui insiste sur l’importance de construire chaque élément de jeu from scratch par des personnes talentueuses. Il explique dans un post de blog sa désaffection pour l’IA, qu’il voit comme un outil qui siphonne la créativité et l’authenticité en s’appropriant les œuvres d’origine sans permission ni crédit approprié.
Pris par la patrouille
Cette prise de position intervient dans un contexte où le recours à l’IA dans le domaine ludique se fait de plus en plus fréquent. Des sociétés telles que Stronghold Games avec Terraforming Mars ont déjà adopté l’IA pour générer du contenu dans une extension, défendant cette approche comme une voie d’avenir. Chris Cocks, CEO de Hasbro, s’est exprimé sur le potentiel de l’IA pour « exploiter » des décennies de contenu ludique afin de créer de nouvelles aventures et cartes à une échelle jamais vue auparavant.
Un discours controversé dont je vous avais déjà parlé dans cet article sur l’IA dans Magic et Dnd. Récemment c’est Awaken Realms qui s’est fait prendre la main dans le sac sur un visuel Gamefound pour la réédition de Puerto Rico, alors que l’entreprise a généré 23 millions sur cette plateforme…
Les zones grises » de l’utilisation de l’IA
Malgré sa position ferme contre l’IA dans la création, Jamey Stegmaier reconnaît l’existence de zones grises dans certains contextes. Le concept d’intelligence artificielle est d’ailleurs très large. Stonemaier Games incorpore par exemple des adversaires contrôlés par l’IA dans les versions numériques de ses jeux, tels que Scythe Digital et Wingspan Digital. Stegmaier mentionne l’utilisation de l’IA, dans des phases non-publiques de prototypage, ce qu’il a fait pour Viticulture.
Il souligne aussi que l’IA pourrait intervenir dans certains process pour des studios qui débutent et qui ne peuvent pas embaucher d’artistes pour réaliser des présentations ou des contenus de pré-travail.
Le problème de l’IA générative
Ces exceptions pointent toutefois du doigt un type d’IA : l’IA générative, celle qui menace l’emploi d’artistes, de graphistes ou de scénaristes. Celle qui crée des contenus de manière algorithmique en faisant des moyennes de contenus existants. Cette IA dont je vous avais parlé ici dans un article qui avait bien buzzé.
Une menace pour les créatifs
La menace de l’IA générative, qui pèse sur les créatifs, a même abouti à la création d’une charte en France : la charte des illustrateur-ices ludiques (CIL) dont les têtes de proue sont entre autres Maud Chalmel et Pénélope Gaming. Une charte qui couvre d’ailleurs plusieurs combats sociaux sur les droits des auteur-ices, mais qui attaque aussi l’IA générative, et qui la voit comme une menace pour la créativité, et surtout les personnes qui sont derrière.
La position ferme de Stonemaier Games a le mérite de ne pas générer d’embrouilles ou d’exceptions. Et je trouve perso cela louable, car dans une entreprise qui prospère, pouvoir s’entourer de créatifs ça crée de belles relations et de l’innovation.
Alors que l’IA continue de se développer à un rythme exponentiel, l’intégration de l’IA générative dans l’industrie ludique semble évitable. Je reste convaincu que la qualité d’un jeu réside dans les histoires, les mécaniques et les expériences uniques que seul le toucher humain peut créer. Et si l’IA générative peut rendre des services dans des processus pénibles comme par exemple nous aider à remplir une fiche d’impôts, ou résumer un pdf de 48 pages, elle ne doit pas entrer dans les processus créatifs d’une entreprise sur le produit final, et se cantonner à du prototypage.
Encore plus si l’entreprise tourne bien : embaucher un créatif en interne, ou payer une presta c’est mieux.