La présence de visuels IA secoue l’actualité des jeux de société. Entre le label « illustré à la main », une vidéo virale de Maud Chalmel et des scandales autour de Wizards of the Coast et Magic, l’authenticité et l’originalité artistique préoccupent les acteurs du monde ludique. Récemment, une autre polémique a éclaté autour de l’utilisation présumée d’art généré par intelligence artificielle dans la campagne de financement participatif du jeu Puerto Rico 1897. Cet incident a mis en lumière les crispations du public sur l’intégrité artistique dans l’industrie. Ravensburger, le détenteur de la licence, et Awaken Realms, l’éditeur, se retrouvent au cœur de cette controverse.
La polémique de l’IA
Le 27 février, la mise en avant d’une campagne sur Gamefound pour une édition spéciale de Puerto Rico 1897 a fait baver les joueurs. Alea (la branche experte de Ravensburger) et Awaken Realms qui s’associent après un Château de Bourgogne Special Edition d’une qualité incroyable, ça met l’eau à la bouche. Mais des backers ont rapidement identifié des éléments typiques de l’art génératif par IA dans les images promotionnelles et l’illustration potentiellement destinée à la boîte du jeu, et ça a été relayé sur twitter/X.
Une roue avec des barreaux irréguliers, des mains qui ne tiennent rien : autant de détails qu’un humain ne dessinerait pas.
La réaction de Ravensburger
Face aux réactions, Awaken Realms et Ravensburger ont retiré les images contestées pour les remplacer par une version floutée de l’illustration de la boîte de Puerto Rico 1897, ornée d’une figurine de bateau. Ravensburger a précisé que l’IA générative ne devait figurer dans aucune partie du processus artistique de ce jeu. C’est une réaction habituelle d’un éditeur pris la main dans le sac, WOTC a fait pareil avec Magic la dernière fois.
Des mood boards qui se retrouvent comme objets de promotion, des économies sur des coûts de design, qui se retrouvent affichés, et l’éditeur en plein damage control.
L’IA et le financement participatif
Les plateformes de crowdfunding ont une attitude différente pour l’instant : Kickstarter oblige les projets à afficher si l’IA a été utilisée, alors que Gamefound, non. Sachant que Ravensburger a investi 4,5 millions dans la plateforme Gamefound…Cette dernière met du temps à annoncer sa politique vis à vis de l’IA, probablement pour laisser le temps à son acteur principal, Awaken Realms, de faire les ajustements nécessaires.
Une chose paraît claire : l’IA a un très mauvais écho dans les jeux de société et dans les campagnes de crowdfunding. Et à juste titre : quand on paye de 50 ou 500€ pour un produit, on attend que les visuels soient à la hauteur, et que ce prix serve à rémunérer des artistes. Pas que la compagnie fasse des économies de direction artistique sur notre dos. Ou alors que ce soit affiché, et de faire des choix en connaissant cette info.
un visuel pour Magic produit en partie par IA
Les artistes en ont marre de l’IA
Dans l’actualité récente, Maud Chalmel a publié une vidéo sur son instagram prenant position sur les enjeux de l’IA. Même si le biais de la pente savonneuse est un peu présent, cette vidéo relaie les inquiétudes des créatifs quand aux directions prises par l’industrie. Une forme de stakhanovisme absurde de la production (1800 sont sortis en 2023 il me semble), des temporalités qui ne laissent plus de latitude aux créatifs et qui renforce le besoin de rationnaliser les coûts de production.
Les outils d’IA tombant à point nommé : gratuité, facilité. Et j’en parlais ce matin avec David Oghia des éditions Bragelonne : là où des outils comme Photoshop ou Lightroom demandent des compétences, les outils d’IA sont parfaitement accessibles à n’importe qui. Et ça pose un gros problème.
Voir cette publication sur Instagram
Par ailleurs, il existe une association, la CIL : la Charte des Illustrateur-ices Ludiques (Maud Chalmel en est la cofondatrice), dont le but est de soutenir les personnes créatives dans le secteur du jeu de société. Ils oeuvrent pour que leur label : « Illustré à la main », soit indiqué sur les boîtes de jeux. J’aime assez l’idée car cela permettrait de structurer le secteur en imposant des normes, et qui laisserait l’IA là où elle doit être à mon sens : dans des réunions internes pour définir des ambiances, dans du pré-travail pour donner des briefs aux créatifs.
Jamais sur un support de com’, jamais sur un produit fini. Ou alors sur un produit qui le stipule, ce qui forcera l’éditeur à en baisser le prix, ou à affronter le jugement du public…Ce qui se traduira mécaniquement par plus de jeux illustrés à la main.
Membre du jury de l’As d’Or de Cannes, Pénélope Gaming, en fait régulièrement un cheval de bataille. Et ça se comprend car le métier d’illustrateur/illustratrice est directement menacé : là où un moodboard se faisait avec une journée de travail et un budget en conséquence, comment ne pas céder à un outil quasiment gratuit qui le fait instantanément en un prompt ? Et même si il est impossible d’envisager (pour l’instant) une qualité professionnelle et un jeu 100% fait par une IA, ces outils rognent sur la partie artistique d’un jeu et les personnes qui en vivent.
Les outils d’IA générative font une moyenne, une interprétation algorithmique de visuels existants, produits par des humains, donc c’est déjà du vol, en soi.
L’hôpital qui se fout de la charité ?
C’est bien beau de critiquer l’utilisation de l’IA chez les autres, mais faut-il commencer par soi-même en tant que site web ? Oui probablement. On utilise l’IA (Midjourney) sur Campustech, à d’autres fins certes, et de moins en moins, aussi. Je la réserve aujourd’hui pour des fonds derrière des visuels, ou une alternative de dernière minute. Comme pour la critique de Captain Flip (le fonds flouté marin), ou celle d’Heredity (le fonds aussi).
Pourquoi ? En partie par facilité. Et en partie parce que souvent, les éditeurs n’ont rien. Ils n’ont pas de visuels de leurs propres jeux. Parce que c’est ça ou voler une image à quelqu’un d’autre. Parce que je ne peux pas demander à mes rédacteurs et rédactrices d’être aussi photographes. Cette tendance s’inverse avec des éditeurs qui travaillent bien et qui nous donnent accès à des dropbox : Matagot, Catch-up Games, iello, pour citer ceux qui me viennent en tête.
J’ai compté 9 utilisations d’IA (7 fonds, 2 covers) sur 130 articles jeux de société depuis début janvier. Soit 5,3%.
C’est un recours dans un média qui n’a pas la même temporalité : nous sortons trois à 5 articles par jour, et parfois nous n’avons pas le temps. La finalité n’est pas la même non plus : illustrer un article sur le web, ce n’est pas prendre votre argent et vous mentir sur la vente d’un produit final. Et il est aussi strictement impossible d’envisager payer un-e artiste pour produire 5 illustrations par jour, livrables dans l’heure.
Nous avons un impératif, celui de capter votre attention, un peu à la manière d’une miniature Youtube. Le titre et l’image putaclic, c’est une condition de survie du projet Campustech, concrètement. Pas la seule. On peut pester sur cet état de fait, mais c’est comme ça. Et quand le seul visuel disponible sur un jeu c’est la couv de la boîte, pas évident d’en faire une miniature accrocheuse.
Notre volonté reste de ne plus l’utiliser du tout. Quand Campustech sera un projet 100% professionnel, je pense même qu’on l’affichera. Quand tous les éditeurs donneront un accès permanent à des visuels qualitatifs de leurs produits à la presse, ce sera plus facile.
Le débat de l’IA dans le secteur ludique est loin d’être fini. Les outils sont là, et les retours en arrière inexistants en matière de tech, en général. Le secteur devra trouver un moyen de laisser les outils IA du futur dans des process internes, même si en l’état actuel ils ne sont pas encore capables de remplacer un-e graphiste. L’incident autour de Puerto Rico 1897 montre comment la tentation est grande dans une économie en état de stress. Et il faut savoir écouter les illustrateurs/illustratices quand ils et elles tirent la sonnette d’alarme.
Bonjour,
L’ai act proscrit le machine learning de données protégés par la propriété intellectuelle sans consentement des ayants droits. D’ici sa mise en application, je vous conseille vivement de trouver une alternative aux modèles d’intelligence artificielle génératives d’images car aucun ne respecte l’IP (et ne souhaite la respecter) et qu’après le traitement qu’ils ont réservés aux artistes, je doute que ces derniers ne voudraient confier ses données à ces entreprises.