Ce n’est pas parce qu’on est joueur qu’on doit tout aimer et inversement, ce n’est pas parce qu’on ne l’est pas que rien ne fera jamais battre notre coeur. C’est comme pour les légumes verts : il faut goûter pour pouvoir dire si on apprécie ou pas. Je digère à l’instant cette énorme boîte et propose de vous donner mon avis dessus.
Jeu et narration
Eila et l’éclat de la montagne est avant toute chose un jeu d’aventure narratif, ce qui sous-entend lecture. Durant la partie, vous passez votre temps à lire et relire les cartes qui imposent le décor, annoncent les évènements, déclarent une attaque etc. Et entre chaque nouveau chapitre, merveilleusement introduit par un prologue sous forme de BD illustrée, vous vous collez une double page de règles alors si vous êtes allergique à la lecture, ça commence déjà mal.
En revanche si, comme moi, vous aimez vous imprégner de l’ambiance et des personnages mais aussi découvrir pas à pas les nouveaux éléments plutôt qu’en un seul bloc alors vous serez ravis d’apprendre que le livret est parfaitement découpé et illustré de sorte que chaque info soit facilement intégrée ou consultable à tout instant.
Gestion de ressources
La petite lapinette que vous incarnez va devoir jongler pour conserver efficacement (et dans un but précis) les aliments qu’elle cueille, les connaissances qu’elle acquiert, l’énergie ou la magie qu’elle emmagasine … Cela dans une zone de stockage très restreinte ! Et en sachant que tout ne pourra pas être converti comme bon lui semble.
Heureusement, vous le verrez un peu plus loin dans mon article, le système fait en sorte de construire parfois un petit moteur efficace pour générer, utiliser et transformer tout cela de manière optimale ! Le plateau personnel qui sert de support à l’ensemble des éléments est de toute beauté et ultra efficace avec ses symboles et flèches qui résument parfaitement l’ordre des choses et les limites des gains.
A la frontière du jeu vidéo
Eila et l’éclat de la montagne vous plonge dans une histoire aux multiples possibilités, tout est question de choix et niveau dilemmes vous êtes servis ! Chaque chemin possède divers embranchements et impossible de savoir à l’avance si l’un d’eux est plus sûr que l’autre ou moins long … Il n’y a qu’en tentant l’expérience que vous le saurez. Ca apporte une petite dose d’adrénaline agréable mais peut aussi parfois vous frustrer : une erreur pourrait faire perdre un temps précieux ou des ressources essentielles et, ainsi, vous obliger à recommencer. Il faut aimer persévérer et tout le monde n’appréciera pas cette sensation d’échec il faut le dire.
En revanche, pour quelqu’un comme moi qui n’ai jamais pu m’habituer à la tension électrique générée par les écrans ou à la manipulation des manettes, c’est une belle opportunité de pouvoir découvrir le plaisir de résoudre des quêtes, faire des rencontres, équiper mon personnages et tenter d’atteindre un but dans le calme (musique douce en fond, ça aide à se détendre), sans stress ajouté ni nécessité de se repérer dans l’espace.
Mémoire et programmation
Alors disons-le, ce n’est pas la mécanique première du jeu. Néanmoins, ce serait mentir de dire que vous n’en aurez pas besoin … Mon cerveau à moi a beaucoup de mal à assimiler les infos et prévoir leur potentiel retour nécessitant un minimum d’anticipation. Je n’en suis pas incapable, et vous non plus, mais il faut reconnaître que ce n’est pas ma plus grande qualité et cela me demande un effort de concentration considérable. Ici, c’est le cas.
Vous disposez de trois emplacements où jouer vos cartes : le passé, le présent et le futur. Celles que vous placez dans le futur vont irrémédiablement refaire surface un moment donné, aussi, il est intéressant de vous souvenir que l’une inflige tant de dégâts si vous n’êtes pas en possession de ceci ou de cela. J’avoue avoir un peu fait la trogne au début concernant ce critère et puis, finalement, c’est bien aussi d’être poussé dans ses retranchements et de s’exercer face à la difficulté. Mais voilà, ça ne plaira pas à tout le monde.
Deckbulding et engine-building
Oooh les gros mots que voilà ! Et sans doute certains d’entre-vous me diront que j’exagère, que ce n’en est pas tout à fait etc, alors revoyons un peu les bases :
- Le deckbuilding consiste à modifier/améliorer/épurer/renforcer son jeu (son lot de cartes si vous préférez). Et la mécanique principale d’Eila et l’éclat de la montagne est quand même de faire défiler les cartes qui nous en proposent/imposent d’autres, ou nous permettent d’en acheter/trouver/récupérer certaines qui auront un impact sur la suite donc bon … on y est !
- L‘engine-building ou construction de moteur est un peu moins marqué, toutefois par rapport à ce que j’expliquais plus haut, il va falloir se souvenir que tel évènement nécessite telle ressource qui, elle-même, ne peut être générée que par un système de conversion. Le dilemme se posera donc parfois de récupérer une carte pour son effet immédiat ou ce qu’elle permettra plus tard par effet ricochet !
Vous me mettrez un peu de tout !
Ce qui est excellent dans cette aventure, c’est la diversité des propositions au travers des différents chapitres. Certes vous répétez les mêmes gestes à longueur de temps : révéler une carte, faire un choix, l’appliquer puis défausser la carte dans le passé ou l’ajouter aux évènements futurs. Malgré tout, les parties ne se ressemblent pas et vous avez le sentiment d’évoluer en même temps que le personnage.
Quand l’un des chapitres propose des énigmes basées sur l’observation et la logique, l’autre vient titiller notre capacité à raisonner, calculer, prendre des risques. On avance, on mesure, on redoute, on tente et on assume nos choix et nos erreurs (ou pas …).
Alex en avait fait une présentation à l’époque de la sortie qui pourrait finir de vous convaincre si vous hésitez encore. Je vous encourage à y jeter un oeil (voire les deux !).
Attention aux p’tits coeur tout mous
Alors vous l’avez sans doute vu passer partout : Eila et l’éclat de la montagne n’est pas une histoire enfantine malgré son petit look mignonnet adorable servi par les traits charmants de l’illustratrice Roxy Dai. On aime ou on n’aime pas, ça ne se discute pas, c’est une histoire de goût.
Moi je trouve ça sublime. Le personnage principal est adorable et représente totalement l’innocence, la naïveté et la vulnérabilité qu’incarne le jeune adulte en devenir. Ce sont les aléas de la vie, sa façon de franchir les étapes, d’avancer sans se retourner et de gérer ses émotions et les conséquences de ces choix passés qui vont le forger et lui donner sa personnalité (et son charme tant qu’à faire !).
Donc oui : Eila n’est pas une histoire toute douce sans violence ni émotions fortes toutefois, il ne me paraît pas impossible de le proposer à un enfant (en binôme offrant ainsi un instant privilégié). Tout s’explique et les jeux comme les histoires ou les dessins animés peuvent servir de supports pour engager les échanges sur un sujet ou un autre. Au contraire, cacher la face noire du monde n’est que reculer pour bien mal sauter … Il est important de préparer les enfants aux dangers qui rôdent, aux choix moraux auxquels ils seront soumis un jour, aux valeurs qu’ils voudront défendre et aux dilemmes auxquels ils seront confrontés … C’est la vie !
Petit lapin deviendra grand
Je dirais donc qu’enfant comme adulte, il faut savoir jauger la sensibilité de chacun et viser le moment opportun pour se lancer dans cette aventure aux contours lisses et édulcorés qui nous guide toutefois sur des chemins escarpés et irréguliers qui, comme pour de vrai, vous offriront tantôt de belles rencontres et de savoureuses expériences, tantôt de plus sombres épreuves et confrontations qui vous marqueront sans doute … à tout jamais !
En tout les cas, c’est selon moi une belle réussite que cette création à la frontière de plusieurs types de jeux (de rôle, de gestion, de cartes ou vidéos). J’ai aimé la simplicité des règles et la facilité avec laquelle on peut décider de choisir et d’avancer autant que la complexité offerte pour tous les chemins possibles et obstacles à traverser. Ce qui est plus compliqué à savourer pour moi, c’est ce constat (sans doute général) de devoir tout recommencer en se servant de nos erreurs (donc en les mémorisant) pour parvenir à une fin satisfaisante. Car oui ! Il en existe plusieurs et vous serez peut-être rassurés de savoir qu’étant donné le prix et le volume de la boîte : il n’est pas question de n’en faire qu’une seule partie !
