Il y a 50 ans, John Ronald Reuel Tolkien nous quittait, nous laissant en héritage un vaste légendaire qui n’avait finalement culminé qu’en peu d’oeuvres. Et si on peut lui discuter la paternité de la fantasy, on ne peut nier que Le Seigneur des anneaux a définitivement établi un certain nombre d’archétypes du genre, qui ont voyagé à travers l’imaginaire et nourri la littérature mais aussi le cinéma et les jeux.
S’il est une influence majeure de Donjons et Dragons, il n’obtint pourtant son propre jeu de rôle que dans les années 80, via le prolifique Jeu de rôle des Terres du Milieu (JRTM, ou Middle-Earth Role Playing – MERP en anglais). Après une éclipse d’une bonne dizaine d’années, due à la révocation de la licence et le tumulte des adaptations au cinéma, le jeu revint au début des années 2010 sous le titre L’Anneau Unique (The One Ring).
En 2020, l’éditeur suédois Free League Publishing annonça reprendre la publication du jeu via une deuxième édition, traduite en français par Edge Studio.
L’Anneau Unique (The One Ring)
A la lecture de L’Anneau Unique, nouvelle édition, on a une impression d’évolution du jeu de rôle, vers une hybridation plus importante avec le jeu de plateau mais aussi avec le matériel littéraire d’origine. A travers son système de jeu qui combine les éléments classiques d’attributs et de compétences, gérés par une astucieuse mécanique de dés, L’Anneau Unique déploie aussi des règles qui lient la Compagnie des héros, les placent sous le patronage d’une figure de la Terre du Milieu et gèrent leurs voyages, leurs valeurs, leur corruption, les trésors fabuleux qu’ils vont découvrir, leurs héritages physique et spirituel.
Même si on n’est pas fan de règles imposantes, on est tout de même séduit par la manière dont les auteurs ont traduit l’esprit et l’atmosphère des récits de Tolkien, en retrouvant ce mélange de contes au coin du feu et de mythes fondateurs, nous replongeant avec curiosité dans un monde où l’on pense avoir tout dit ou écrit. L’Anneau Unique se distingue des standards de l’heroic fantasy en réintroduisant des éléments clés des récits de Tolkien : l’importance des débats, la poésie ou le chant, le périple comme élément de découverte, l’intrication du folklore et des rumeurs… Du Conseil d’Elrond à la Chambre des Ents, le Seigneur des Anneaux est plein de ces moments où la manière de transmettre un message est quasiment plus décisive que son contenu.
Et surtout, la magie n’existe que par les exploits des héros ou la prégnance des légendes, pas par la puissance de lanceurs de sorts.
Le résultat est un jeu d’aventures qui ne se centre pas que sur les personnages et leurs interactions immédiates avec monstres et trésors mais les inscrit dans une trame plus ambitieuse. Le décor de départ est certes plus restreint, puisque les auteurs ont choisi de placer l’action dans l’Eriador, dans les restes déchus du Royaume du Nord. Pour ceux qui sont plutôt nostalgiques des grandes envolées épiques de la trilogie, qui incendiaient les plaines du Rohan et du Gondor, jusqu’en Mordor, ce nom n’évoquera qu’une taverne mal famée et le Mont venteux. Mais le choix est judicieux car les contrées du nord sont pleines de mystères et de dangers latents. Des Monts de Galgal aux ruines laissées par les guerres avec Angmar, l’Eriador est riche de secrets enfouis.
La période considérée se situe entre Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux. La Bataille des Cinq Armées est encore dans les mémoires et l’Ennemi se réveille. Formellement, le livre épouse totalement ces partis pris, entre les illustrations traditionnelles qui rappellent les crayonnés de John Howe et Alan Lee, et les pleines pages modernes, rompant avec l’héritage des films. Via le ton et le contenu, on replonge dans ce qui fait la spécificité du Seigneur des Anneaux, l’impression de recréer des légendes des temps anciens.
Par la richesse des règles et la structure des scénarios, très ouverts, il demandera un Gardien des Légendes (Meneur de jeu) aguerri mais plaira assurément aux fans de l’œuvre.
L’Anneau Unique (The One Ring) – Boîte de démarrage et écran
Les boîtes d’initiation se multiplient, proposant des règles abrégées et du matériel « didactique » : cartes, pions, fiches récapitulatives, personnages prêts à jouer. Le but est d’attirer de nouveaux joueurs avec quelque chose de plus abordable qu’un pavé de 300 pages ou de donner un avant-goût d’un nouvel univers de jeu. Habituellement, on pourrait se dire que le joueur expérimenté va faire l’impasse et choisir la gamme « pro ». Mais certains éditeurs ont le bon goût de proposer quelque chose qui satisfait tout le monde.
Dans la boîte d’initiation de L’Anneau Unique, on trouve :
- des dés
- un digest des règles
- des cartes d’équipement et de tactique
- un livre de scénarios
- des fiches de PJ
- une grande carte de l’Eriador avec, au dos, une carte de la Comté…et un guide assez fourni de cette contrée.
Car dans cette boîte, on ne joue que des Hobbits. Choix limité mais finalement très cohérent. La boîte constitue ainsi un supplément sur les Hobbits, porte d’entrée vers la Terre du Milieu.
A la lecture de ce guide, on est transporté dans cette campagne à l’anglaise où les tavernes s’appellent la Bûche flottante ou le Jet de pierre, un pays où rien ne se passe et que le monde extérieur ignore, alors qu’il est à la croisée de tous les chemins, notamment la grande route de l’est, qui relie les mines de l’Ered Luin aux Monts Brumeux et voit passer Nains marchands, Elfes en exil et Rôdeurs fourbus. Les mythes et les contes font place aux petites rumeurs colportées, la vue d’un elfe est l’événement de l’année, le fantastique y est fait d’enchantements et pas de sorcellerie.
Quel intérêt pour des joueurs ? C’est oublier que la Comté a aussi repoussé des invasions de gobelins et s’attire l’affection de Gandalf lui-même, que ses forêts regorgent de ténèbres insondables et que l’ombre rôde à ses frontières. Les personnages seront entraînés dans cinq aventures par Bilbo, toujours facétieux et avide de sensations, au point de créer sa propre cabale de conspirateurs : les joueurs ! Les aventures iront crescendo, à la rencontre d’une faune plus bariolée qu’attendu.
En bref, un matériel pas indispensable mais pas dispensable, très bien pensé pour débutants et vétérans. L’écran (vendu à part) contient un court guide de Rivendell, décrivant les lieux et ses habitants et offrant comme nouvelles options le patronage d’Elrond ou la possibilité d’incarner des Hauts Elfes de Rivendell. Le livre de base, la boîte de démarrage et l’écran sont disponibles en français chez Edge Studio.
Ruins of the lost realm
A l’annonce de la nouvelle édition de L’Anneau Unique, on pouvait se demander pourquoi elle serait centrée sur l’Eriador. Après tout, cette région n’évoque que des étendues de forêt et de plaines peu habitées, entre autres par le peuple le plus casanier de la Terre du Milieu, les Hobbits, et pâlit par rapport à des sites plus prestigieux à ses frontières: Angmar, Rivendell ou Isengard. Pourquoi pas le Rohan ou l’Ithilien?
Mais ce royaume perdu (l’Arnor était jumeau du Gondor), porte les stigmates de hauts faits des Premier et Second Ages. Les ruines qui le parsèment résument la guerre éternelle contre Morgoth et Sauron : Eregion où les anneaux de pouvoir furent forgés, Annúminas où les Fidèles de Númenor vinrent fonder un nouveau royaume,… Autant de spoilers de la série Rings of power. C’est une contrée moribonde, en déclin constant qui attend littéralement le retour du roi.
Ce premier supplément pour la nouvelle édition de l’Anneau Unique est une vraie boîte à outils. La boîte de démarrage prenait les participants par la main en proposant une campagne structurée. Ici on explore l’Eriador par petites touches, des villages ou des lieux abandonnés, qui donnent la tonalité. Mais il y a un chapitre qui les réunit tous et dans les ténèbres les lie. Il consiste en trois fils d’intrigues indépendants mais qui peuvent se croiser, avec une chronologie et des intervenants détaillés. Il prouve que même dans cette sorte d’interlude que semble constituer la période entre Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux, on peut créer des adversaires et des épreuves à la hauteur de personnages qui vont devoir apprendre à être des héros. Parmi ces obstacles, les Núménoréens noirs, qui portent tout l’héritage d’une lignée millénaire, corrompue par Sauron. Mais ça, c’est peut-être pour la dernière saison de la série, quand il ne sera plus possible de revenir de Valinor à la nage. Il est sorti en anglais chez Free League Publishing.
Tales from the lone lands
Sous cette couverture superbe, qui tranche avec l’habituel rouge et noir des livres de jeu de rôle, on retrouve les mêmes éléments que dans Ruins of the lost realm : des sites d’aventure. Ils sont cependant liés par un fil narratif bien plus dense qui culminera dans le dernier chapitre. Les joueurs devront y découvrir la source d’une puissance corruptrice plantée il y a bien longtemps par le Roi-Sorcier lui-même, les menant vers la colline de la peur et le serment irrésolu d’un ancêtre.
En le combinant avec Ruins of the lost realm, on obtient une carte de l’Eriador parsemée de points d’intérêt, et on se prend à dessiner le trajet qui les reliera tous en une campagne mémorable, mêlant l’intrigue principale aux complots élaborés dans le premier volume. Il sortira bientôt en anglais chez Free League Publishing. Le PDF est déjà disponible lors des précommandes.
Moria – Through the doors of Durin
Le 30 août, Free League Publishing a lancé un financement participatif pour un nouveau supplément consacré à la Moria. Sur le modèle des précédents suppléments, il décrira un grand nombre de lieux de l’antique cité des Nains sous les Monts Brumeux et de ses parages (le Col du Caradhras et la Vallée des Rigoles Sombres sont de la partie). Parmi les ruines et l’obscurité, on peut encore découvrir des vestiges que les Orques ont épargnés. La note d’intention des auteurs est d’en faire la Moria de chacun. Ainsi, un fil rouge reliera les différents lieux mais il sera possible d’en faire le bac à sable ultime, c’est-à-dire un décor d’exploration totalement ouvert où les pilleurs de tombes trouveront autant leur compte que les défenseurs du patrimoine nain.
Souvenez-vous seulement de ne pas y creuser trop profondément. Le Fléau de Durin y veille toujours. Le financement participatif est actif sur Kickstarter jusqu’au 14 septembre.
Note : la deuxième édition de The One Ring est aussi déclinée en anglais en une version compatible avec la 5e édition de D&D, dans la gamme The Lord of the Rings Roleplaying, par le même éditeur. Chaque ouvrage de la gamme The One Ring a donc son jumeau pour la 5e édition, avec une couverture et un titre alternatifs.
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