Construit sur le même modèle que le Manuel des Marines coloniaux, Building better worlds (le slogan de la mégacorpo Weyland-Yutani) propose un tas de nouvelles informations, consacrée à l’un des trois axes de développements promis dans le jeu de base Alien le jeu de rôle.
Un supplément…
Après les militaires et avant les camionneurs de l’espace, voici les colons.
La première partie du livre retrace l’histoire de l’humanité post-conquête spatiale, vu sous l’angle de l’innovation et de l’exploration. On y retrouve des points d’ancrage avec l’histoire politique et militaire du supplément sur les Marines, notamment l’impact des conflits sur l’expansion de notre société vers les étoiles.
Ensuite, un survol des différentes entités politiques montre à quel point leur noyautage par les grandes corporations complique le jeu d’influence à l’échelle de dizaines de systèmes solaires.
Deux nouvelles carrières enrichissent l’offre de profils pour les joueurs, suivies d’un catalogue d’équipement pas indispensable mais suffisamment différent de l’offre purement militariste du précédent supplément. Il ne se limite d’ailleurs pas à une simple liste et de nombreux noyaux d’intrigue ou des mises en situation fourniront aux Mamans (les Meneuses de jeu) la matière pour enrichir les décors de leur superproduction rôliste.
Un chapitre donne les conseils pour monter des campagnes basées sur deux grands axes : l’exploration (pour aller avec audace où aucun homme n’est allé avant) ou la colonisation (ou Sa majesté des mouches à 30 parsecs de la Terre).
Pour donner des idées ou planter rapidement les décors de la campagne, de nombreux systèmes sont décrits avec des accroches qui sont autant de scénarios possibles.
Enfin, un chapitre revient sur toutes les variations connues de la menace xénomorphe, prenant en compte les développements de la campagne précédente et les événements décisifs des scénarios isolés (Le chariot des dieux, Le Destructeur des mondes et Au coeur des ténèbres), prouvant qu’il y a moyen de construire une mythologie intéressante sans introduire les Prédateurs…
…de campagne
Pour en arriver à la partie majeure du livre : la campagne des Mondes perdus.
Un événement cosmique d’amplitude majeure a coupé pendant des années le contact établi entre le noyau de l’humanité et un noyau de colonies lointaines.
De concert, les différentes nations et grandes corporations décident de monter une expédition pour rétablir un pont vers ces colonies orphelines. Les joueurs seront les membres d’équipage d’un des vaisseaux de cette armada. Bien entendu, derrière le prétexte humanitaire se cache un grand nombre d’intérêts économiques et politiques. D’ailleurs ils seront mis à mal par l’explosion d’autres conflits et les agendas personnels des responsables.
Alors que la campagne militaire s’organisait en opérations (secrètes ou pas), les Mondes perdus voient 6 expéditions se succéder vers un final décisif pour l’avenir de l’humanité.
La campagne est construite sur le modèle du « bac à sable », c’est-à-dire la mise en place des éléments du contexte et de l’intrigue de manière ouverte, pour être explorés dans l’ordre du choix des joueurs. Cela peut désarçonner un maître de jeu peu expérimenté mais est certainement la manière la plus jubilatoire de conduire une intrigue pareille.
Chaque expédition sera l’occasion d’être confronté à des défis et des problématiques différentes, tout en livrant des indices sur le fil rouge.
La cohérence de la gamme Alien
C’est une des forces d’Alien, le jeu de rôle. Les scénarios et les campagnes s’articulent tous dans un récit gigantesque où les informations récoltées et les protagonistes (aux échelles micro et macro) se répondent sans cesse. Ils montrent que le bestiaire xénomorphe est en fin de compte bien anecdotique en face de la monstruosité déployée par les gouvernements, les acteurs économiques et certaines personnalités.
Les mêmes joueurs trouveront le même plaisir à incarner des escouades super entraînées ou des explorateurs de l’inconnu, et réaliseront certainement que les solutions ne sont pas plus faciles à trouver d’une manière ou de l’autre.
J’ai cependant une préférence pour ce supplément-ci, car le cadre permet d’y jouer tous les profils de carrière, de l’entertainer au spécialiste de l’agriculture, sans qu’une fonction ait l’air absolument plus utile qu’un autre. Dans cette proto-humanité en vadrouille, toutes les compétences jouent un rôle.
Diversité vs qualité
Un point qui attire aussi l’attention, c’est la représentativité des Personnages Non Joueurs. Des femmes snipers, dockers, officières de sécurité,… Des ethnies variées et pas nécessairement liées au stéréotype de la nation. Alien le jeu de rôle démontre clairement à quel point la diversité n’entrave pas une bonne histoire et qu’elle est souvent le bouc émissaire d’un ratage scénaristique.
Finis les rôles habituels (conseillère, soigneuse, espionne,…) des personnages féminins aux caractéristiques de charisme/apparence invariablement supérieures aux profils masculins, accompagnées de talents de séduction, charme,… (la campagne de l’Ennemi intérieur pour Warhammer en est malheureusement un bon exemple, malgré ses qualités narratives).
Cette richesse des portraits de PNJ, couplée à des passifs tout en nuances et des prorités fluctuantes pour de très bonnes raisons, débouche sur une galerie très intéressante. Si vous associez ça à de multiples intrigues secondaires, vous obtenez un liant fabuleux pour votre campagne.
En bref
Building better worlds est mon supplément préféré pour Alien, pas seulement parce que j’ai toujours un a priori contre les récits militaristes, mais parce qu’il ouvre réellement le jeu et permet des styles de personnages très différents, ainsi qu’un regard plus riche sur le jeu pourri des états et des entreprises, et le danger que leur avidité et leur aveuglement font courir à leurs citoyens ou employés.
Et puis, la méta-intrigue continue de se densifier, bien au-delà du simple ovomorphe, au fil d’un récit qui, par ses techniques et sa structure, rivalise avec les meilleures séries.