Savourer des jeux c’est toujours bien mais rencontrer leurs créateurs c’est encore mieux. Je vous partage ici mes échanges avec les talentueux Christine Alcouffe et Ludovic Maublanc.
L’un sans l’Autre
Ludovic Maublanc, auteur de jeux depuis 20 ans. Il a créé et co-créé un paquet de titres aux mécaniques variées allant du jeu d’ambiance au gros jeu de plateau, en passant par la narration, le roll&write et le jeu enfant. Son esprit créatif ne semble vouloir se fixer aucune limite si ce n’est « de faire des jeux dans lesquels on s’amuse, ce qui semble de plus en plus rare » dixit le principal intéressé.
Parmi ses récentes créations, on compte la refonte de Cyclades et le duel Gatsby, tous deux signés avec Bruno Cathala ; l’adaptation du jeu vidéo Dead Cells par la team Kaedama dont il fait partie et avec laquelle il a également commis, entre-autres, le sublime Arkeis.
Christine Alcouffe, illustratrice depuis 15 ans a fait son entrée dans le milieu ludique plus tardivement mais a déjà travaillé sur une bonne trentaine de jeux à ce jour, en commençant par l’élégant Paper Tales en 2017 ! Séduite par ce support, elle compte bien ne pas s’arrêter en si bon chemin, pour notre plus grand bonheur ! En tant que joueuse, ce que préfère Christine ce sont les cubes en bois mais aussi les associations d’idées, la déduction ou encore les lettres ! « Un large panel de jeux d’ambiance quoi ! » précise-t-elle.
L’union fait la force !
Christine raconte : « Nous nous sommes croisés plusieurs fois sur des festivals, on avait des connaissances en commun alors on a vite sympathisé. C’est déjà en tant qu’amis que nous avons commencé à faire des jeux ensemble : je crois que c’était une impulsion de ma part alors que je m’apprêtais à prendre un train pour rentrer chez moi à Lyon, j’ai dit à Ludo que ça serait chouette de voir ce que donnerait un travail de co-autorat ensemble, en particulier avec mon bagage d’illustratrice de jeux. C’est de cette discussion que sont nés Les contes Émerveillés (et de la volonté de créer un jeu dans lequel on construit physiquement un paysage plein de personnages) ».
Ludovic ajoute : « l’idée de notre première collaboration était de voir si l’on pouvait faire un jeu dont les illustrations seraient partie intégrante de la mécanique dès le départ. J’ai proposé une mécanique de jeu assez simple du type « soit ça marche » « soit c’est nul à chier »… comme elle marchait pas mal, on n’a pas eu grand chose à changer… Christine s’est plus consacrée aux choix des personnages et à l’univers graphique. Par contre, dès notre deuxième collaboration, chaque jeu est né d’une discussion commune sur nos envies du moment. C’est même généralement Christine qui est motrice, elle qui propose les pistes de départs qu’elles soient mécaniques ou thématiques ».
La pro-création
J’imagine qu’il n’est pas toujours simple de trouver sa place quand on passe du métier d’illustratrice à autrice, ni même de savoir en laisser un peu quand on est déjà connu et reconnu dans le milieu ? Comment réussissez-vous à vous coordonner ? Organiser votre travail ? Et faire des concessions si nécessaire ?
Christine : « Clairement pour l’instant je suis beaucoup plus identifiée en tant qu’illustratrice qu’en tant qu’autrice. C’est logique dans la mesure où ça représente l’essentiel de mes sorties, et que je me présente souvent plus sous cette casquette. J’avoue que je suis quand même un peu embarrassée quand des gens s’étonnent que je sois aussi autrice.
Par rapport à Ludo et aux autres auteurs avec qui il partage son atelier il n’y a jamais eu de malaise, ça s’est fait de manière très respectueuse même quand je commençais tout juste.
Enfin je dois avouer que je garde toujours un oeil d’illustratrice dans ce que je fais, ça n’implique pas forcément de faire des prototypes différemment d’autres auteurs, c’est simplement que je projette dès le départ ce que pourraient donner les jeux une fois illustrés (que je m’occupe de cette partie ou non). Bien sûr, il faut faire des concessions dans le sens où nos envies ne sont pas forcément ce que l’autre projette. Pour l’instant je ne crois pas qu’on ait déjà été dans une situation où l’un souhaitait quelque chose de très très différent pour un prototype par rapport à l’autre. Si ça avait été le cas je pense qu’on aurait juste exploré deux pistes quitte à ce qu’ils deviennent deux jeux distincts ».
Ludovic : « Je considère que ma “relation auteur” avec Christine n’est pas différente de celle que j’ai avec mes autres co-auteurs. Dans tous les cas, selon le moment, l’urgence ou les sujets, l’un des auteurs peut être amené à prendre le pas sur un projet commun. Le fait que j’ai plus d’expérience est plutôt pratique quand vient la construction du prototype ou de présenter le jeu à des éditeurs. Mais pour ce qui est de la création pure, je trouve que c’est au contraire plutôt un handicap car avec le temps on s’enferme dans ses paternes… c’est avec une vision neuve que l’on est plus susceptible d’explorer de nouvelles pistes« .
Trouver du temps et de l’énergie pour travailler en ligne n’est pas toujours évident, Christine regrette le « manque de concret et de manipulation pour parvenir à se projeter ». En général, ils travaillent donc plutôt en direct, lors de ses passages à Valence dans l’atelier où bosse Ludovic qui avance souvent de son côté ou s’occupe de modifier les prototypes après les séances de test ; ou lorsque ce dernier se rend lui-même à Lyon. En tous les cas, il en ressort que c’est lors des week-ends posés et dédiés à ça qu’ils avancent le mieux en règle générale.
Les contes émerveillés : toute première collaboration !
Florian de Grrr Games se livre : « Les Contes Emerveillés est un excellent souvenir. Le travail avec Ludovic et Christine a été très agréable et le jeu a eu un gros succès d’estime. Il n’a malheureusement pas eu le succès escompté en boutique pour de multiples raisons certaines qui nous reviennent, d’autres qui nous échappent… Il en reste un excellent jeu pour enfants, intéressant pour toute la famille, qui nous vaut de nombreux retours positifs et de nombreuses histoires touchantes encore aujourd’hui, 4 ans après sa sortie« .
Un petit tour sur Les toits de Paris pour la suite des aventures !
Kika de Kyf édition se souvient :
« On a découvert le proto au deuxième jour de développement à l’occasion d’un déjeuner chez Antoine Bauza. Ca a été un coup de coeur immédiat ! Chris et Ludo étaient attentifs à nos retours. Originellement, il fallait faire des collections d’insectes. Christine avait déjà réalisé une série d’illustrations magnifiques sur le thème mais, après réflexion et d’un commun accord, nous avons finalement opté pour quelque chose de plus universel : l’univers d’Arsène Lupin. Chez nous Nico, qui développe des jeux vidéos, a créé un logiciel capable de mettre en exergue les petits ajustements à faire. C’est lui qui a beaucoup bossé avec les deux auteurs en créant des joueurs virtuels aux aptitudes inspirées des différents caractères qui composent notre équipe. Côté illu, c’est évidemment Pierô qui a accompagné Christine du point de vue de la direction artistique des Toits de Paris« .
Et maintenant, qu’allez-vous faire ?
« Après un premier jeu familial où l’on raconte des histoires loufoques, un second basé sur du stop où encore dans lequel on cambriole et collectionne nos butins avec quelques crasses aux collègues en passant ; d’autres idées sont en réserve et mûrissent encore à la recherche d’éditeurs ! » nous confie le duo.
« Prochainement Les Toits de Paris (qui a eu son extension en France cette année) va être localisé au Japon et nous avons eu la chance d’assister à la sortie du jeu en nous rendant sur place pendant le Tokyo Game Market. Les éditeurices ont l’air de bien s’investir sur le jeu, on a déjà eu l’occasion de voir le trailer promotionnel, c’est trop cool. Je me sens fière et chanceuse d’avoir eu cette occasion là ! J’ai, à ce jour, pas mal de projets d’illustration de jeux mais pour l’instant je n’ai pas forcément le temps d’en créer de mon côté » explique Christine.
De son côté, Ludovic savoure la sortie de « Gatsby dont Christine est à la fois l’illustratrice et l’inspiratrice. Ca a été l’occasion de retravailler avec Bruno Cathala. On a enchaîné plusieurs projets après avoir bouclé ce jeu. Deux d’entre eux vont arriver dans les mois qui viennent : un jeu de polyominos pour Cannes 2026 et un de déduction qui arrivera en fin d’année. Il sera illustré par … Christine Alcouffe ! Et j’y suis pour rien. C’est une idée de l’éditeur ! ».
Pour le moment, les deux complices travaillent fort sur une sortie à venir chez Lumberjacks studio (septembre si tout se passe bien) : Alice, de l’autre côté du miroir sera un flip&write au twist original basé sur l’utilisation des deux faces d’une même fiche lors de la partie ! On a hâte d’en savoir un peu plus … (Attention les visuels ne sont pas encore définitif).
Le bûcheron Antoine nous partage son expérience : « Avec Christine et Ludo, ça se passe vraiment super bien, on a un bon relationnel. Ils sont très expérimentés, ce sont des auteurs avec lesquels il est très intéressant de bosser. Chacun a sa place bien définie. De plus, c’est super enrichissant de travailler sur un univers déjà existant qui nous a tous marqués. C’est toujours compliqué d’essayer d’apporter quelque chose de nouveau, tout en essayant de respecter une œuvre déjà bien établie et qui a été traitée bien des fois mais c’était important pour eux de faire un jeu dans lequel les actions sont justifiées du point de vue de la narration. Ce qui donne une touche unique au projet c’est qu’on se raconte véritablement une histoire en jouant, le fait de passer réellement de l’autre côté du miroir c’est quelque chose !« .
Un grand merci aux auteurs et éditeurs d’avoir pris le temps de participer à la rédaction de cet article que j’espère le plus intéressant possible. J’ai, de mon côte, pris beaucoup de plaisir à le rédiger et surtout à communiquer avec chacun d’entre-eux. Je suivrai la suite de leurs aventures avec beaucoup d’intérêt ! Et vous ?
