En bon fan de jeux de plis et surtout de culture Japonaise, j’avais acheté cette boîte à peine aperçue, il y a un an. Rangée tout en bas de la pile de la honte, c’est avec un peu de flemme que j’ouvrais la boîte lors d’une soirée jeux. Et quelle erreur ce fût, d’avoir ainsi négligé cette petite pépite qui dormait au fond d’une kallax. Un jeu de plis et de contrôle de territoire m’attendait patiemment. Voici mon avis et ma critique de Joraku !
La route de Kyoto
Joraku est un mot de japonais ancien qui signifie « aller à Kyoto », non pas de manière innocente et bucolique comme dans Tokaïdo, mais dans le sens politique et guerrier d’aller prendre le pouvoir. Car Kyoto était une ancienne capitale du Japon. Et c’est vraiment ce que l’on ressent en jouant à Joraku, puisque le jeu nous propose de prendre le pouvoir sur des territoires, en 3 manches. Chaque manche nous faisant aller vers la gauche, en direction du territoire qui rapporte le plus de points, seulement à la fin du jeu : Kyoto.
A la tête de votre clan, en tant que Daimyo, vous aurez l’avantage sur une des 7 provinces du jeu. Matérialisées par autant de cartons, que l’on assemble en ligne pour représenter le théâtre des opérations global. Avec une carte de Daimyo, 7 cartes dans chacune des 4 couleurs, quelques kubenbois et un pion représentant votre Daimyo, on a fait le tour de l’édition du jeu par Nuts Publishing.
Une petite boîte qui coûte 15€, même si il existe une version Deluxe que j’aurais -du coup – adoré avoir.
Je vais commencer par le plus gros défaut du jeu à mon sens : cette édition condensée comporte une piste de points de victoire, sur laquelle on entasse les cubes pour chacun des joueurs, et ce n’est pas pratique du tout : les cubes se déplacent trop facilement, et à la moindre erreur ou maladresse le scoring est foutu. Cette piste est située sur une des tuiles de territoire, sur laquelle on ajoute et enlève des cubes souvent. Dommage !
Pour le reste le jeu a un feeling très classe et sobre, parfait pour le thème, et je trouve ses graphismes absolument magnifiques.
Un jeu de plis ?
Au niveau mécanique, Joraku mélange un système de jeu de plis à de la majorité sur des territoires. Je le trouve très élégant : un must-follow sur la partie plis, mais des actions à jouer même si on ne remporte pas le pli.
Pour en résumer le gameplay, l’idée de Joraku est de positionner ses samouraïs (des cubes de votre couleur) et votre pion Daimyo sur les 7 territoires du jeu, en essayant d’être majoritaire pour marquer des points. Tout ça en 3 manches. Sauf que les territoires les plus rentables sont à droite à la manche 1, au milieu à la manche 2, et tout à gauche, à Kyoto, à la manche 3.
Dans Joraku vous recevez des cartes au début de chaque tour, dont la valeur va de 1 à 6 dans quatre couleurs, plus un ninja par couleur, qui n’a pas de numéro. Vous allez jouer des plis et à chaque carte jouée faire des actions : déplacer des samouraïs, déplacer votre Daimyo, enlever des samouraïs adverses…
Et déplacer vos samouraïs va vous coûter des ressources, ressources qui sont en fait représentées par le chiffre de votre carte ! Si vous jouez une carte 5, vous avez 5 points de déplacement, si vous jouez une carte 3, vous avez 3 points. Mais si je vous dis que la valeur de votre carte détermine aussi le territoire où vous pouvez déployer de nouvelles troupes ? Du génie.
Le sel du jeu se situe donc dans votre faculté à gagner des majorités, à bien affecter et déplacer vos troupes sur les tuiles qui scorent, et à gagner des plis…
Mais pourquoi gagner des plis alors ?
Gagner un pli dans Joraku signifie prendre l’initiative pour le pli suivant, et surtout récupérer une carte spéciale : le kachidoki. Une mécanique qui fait qu’en fin de pli on regarde qui a la majorité dans le territoire où est situé le joueur possédant le Kachidoki…et des points pour les joueurs qui s’y situent.
Kachidoki signifie : le cri de la victoire !
C’est assez subtil parce que parfois on ne veut pas forcément gagner le pli, car dans la région de son Daimyo on n’y est pas majoritaire…
Contrôle de territoire/majorité
La mécanique de contrôle de territoire est relativement simple : le joueur ayant le plus de troupes (1 samouraï = 1, un pion Daimyo =2) dans un territoire gagne les points indiqués selon la manche en cours. Le deuxième marque aussi, et le troisième aussi. Pas la quatrième joueur. En cas d’égalité, cela repousse de 1 la position : par exemple, si il y a deux joueurs à égalité à la position 2, alors le troisième au classement devient quatrième, donc ne marque pas de points.
Mais le twist principal du jeu réside dans le fait que les territoires ont une valeur changeante, selon la manche en cours. Le territoire tout à droite vaut 7 points au tour 1, mais zéro points dès le tour 2 ! Aller lutter là-bas c’est investir des points dans le déplacements de vos samouraïs, mais ces samouraïs n’auront ensuite jamais le temps de revenir à Kyoto en fin de manche 3…
Que faire ? C’est cette gestion de l’espace qui est vraiment bien faite dans ce jeu. Des vraies sensations de wargame, dans des règles très épurées.
Yari ou Katana ?
Petite subtilité : la carte ninja gagne un pli seulement si une carte 6 a été jouée, il faut donc faire attention et les jouer quand un 6 est présent, du moins si on veut gagner le pli.
Les résolutions des cartes
Carte Ninja :
prenez 0 à 3 pions Samouraï de votre réserve et placez-les dans n’importe quelle(s) territoire(s) sur la carte. Ceci peut inclure Kyoto.
Carte 1 à 6 :
Choisissez l’effet A ou B :
- A. Prenez 0 à 3 pions Samouraï de votre réserve et placez-les tous dans la zone avec le même numéro que la carte jouée.
- B. Gagnez des points d’actions (PA) du même nombre que la carte et utilisez-les immédiatement.
2 Points d’action pour déplacer votre pion Daimyo dans une zone adjacente.
1 Point d’action pour déplacer un de vos pions Samouraï dans une zone adjacente.
1 Point d’action pour retirer un pion Samouraï appartenant à un adversaire de la zone où votre pion Daimyo se situe. Renvoyez-le dans sa réserve.
Et là ça fait mal ! Retirer un samouraï peut vous faire gagner une majorité, mais pouvoir le déployer à nouveau ça peut être bien pour votre adversaire. Subtil !
Combien de fois irais-je à Kyoto ?
Joraku a une assez bonne durée de vie, et ce qu’il propose à ce tarif est très largement suffisant. Les parties sont épiques et tendues, la rejouabilité assez élevée au final avec les variantes proposées. Ce n’est de toute façon pas un jeu que l’on sort pour faire 4 parties de suite, Joraku est un jeu stratégique de poche, une sorte de wargame de poche, épuré, sobre mais profond.
L’acceptation de la mort
Joraku au final m’a surpris, je ne le pensais pas aussi bon, et il manie avec merveille l’art du jeu de plis et de la majorité. Une sorte d’ambidextrie à la Musashi qui sied bien à son gameplay. Vous allez lutter sur plusieurs fronts, vous allez vouloir à tout prix focaliser sur un territoire afin de ne pas le perdre, et ce faisant vous ouvrirez la voie à un autre joueur qui sera tranquille sur plusieurs autres territoires.
Ce gameplay sur plusieurs plans (les plis, la valeur de carte jouée, le territoire visé) et l’anticipation des mouvements adverses lui donnent toute sa profondeur. C’est aussi un petit peu chaotique, mais je trouve ça tout à fait justifié dans un jeu d’affrontement. Et le côté aléatoire du tirage des cartes pour les plis est complètement atténué par la multitude d’actions possibles.
Je lui trouve des similarités avec un autre jeu, Yuan, dans une sorte de récitation canonique de l’art de la guerre. Un jeu qui ne se concentre pas sur des formulations complexes de résolutions de conflits, mais plutôt sur la spatialité, sur l’acceptation de la défaite et sur le mouvement. Joraku n’est pas un grand jeu de stratégie, mais il maîtrise complètement son sujet dans une proposition très originale.
Et l’originalité est quelque chose qui me plaît beaucoup dans un océan de sorties de jeux. Joraku a non seulement une tronche, mais il a aussi des tripes. Un vrai bon petit jeu.