Dans Rédac Chef, vous fabriquez la Une de votre journal en plaçant des tuiles sur votre maquette. Sélectionnez articles, publicités et images pour informer la population, en veillant à l’équilibre des bonnes et mauvaises nouvelles. Dans un temps limité, vous enchaînerez reportage et montage afin de concevoir la meilleure Une de journal ! Très sceptique au départ juste en apercevant la boîte, avec un thème très casse-gueule sur la presse écrite qui est encore plus morte que la presse web, j’ai quand même été curieux de voir le nom de Ian O’Toole sur la boîte…Qu’en est-il ? Voici mon avis sur Rédac’ Chef !
Le Ruisseau Gazouillant
Vous êtes Benoît Zhette, rédacteur en chef du Ruisseau Gazouillant, et le village de Bourg-Chardon lit votre journal tous les matins. Mais la Une de ce journal ne se fabrique pas toute seule ! Piochez des tuiles parmi les articles, photos et publicités ramenées par vos reporters, et agencez les harmonieusement pour que votre journal soit le plus lu.
Obsession éditoriale
Très sensible à la qualité éditoriale dans les jeux de société, je surveille d’un oeil attentif toutes les sorties de Ian O’Toole. Dans l’édition d’un jeu, la partie graphique joue un rôle central. Et dans les graphismes, il y a l’illustration. Avoir une bonne couverture de boîte, et des illustrations qui racontent le jeu, créant derechef une partie de sa narration, de son univers, c’est aujourd’hui incontournable, dans un contexte de 1200 sorties de jeu par an.
Le travail de Ian O’Toole, et de la maison d’édition Flatout Games, est tout simplement remarquable sur ce jeu. Si vous ne les connaissez pas, Ian O’Toole a bossé par exemple sur Voidfall, Carnegie, On Mars, Pampero. Des masterclass à chaque fois pour cet artiste australien. Flatout Games ils ont édité Calico, ou Cascadia, des projets superbement maîtrisés au niveau éditorial.
Ensemble ils font donc Rédac’ Chef. Et l’édition est tout simplement superbe. Pourtant, Satan sait que je déteste la thématique de la Nature, quand elle est niaise et juste un prétexte pour ratisser large. Dans Rédac’ Chef Ian O’Toole a réussi à sublimer ce thème, car il en a fait un background, un décor, qui sert le propos du jeu. Rédac’ Chef raconte l’actualité à travers le prisme d’un monde animal et végétal, de manière fine et humoristique. Le moindre écureuil, la moindre feuille, le moindre élément visuel raconte cette réalité.
Les plateaux sont sobres mais superbes, les tuiles racontent toutes quelque chose, les petits bureaux en carton et en 3D sont une bonne idée, tout est réussi. Au niveau des articles, chaque titre est une petite pépite à lire, et ça rajoute vraiment une dimension de tendresse envers le jeu. La partie éditoriale c’est ça aussi, les textes, la règle du jeu, l’iconographie, le matériel du jeu. Lucky Duck a d’ailleurs bien localisé en français, tout fonctionne parfaitement.
Le seul faux-pas à mon sens ce sont les bureaux, que je trouve un peu fragiles.
Bon, maintenant qu’on a établi que Rédac’ Chef était beau, y’a-t-il un bon jeu derrière ça ? Spoiler : oui.
Comment ça se joue Rédac’ Chef ?
Je ne vais pas ici vous détailler les points de règles, mais vous décrire l’expérience de jeu. Vous commencez par choisir un journal : le Ruisseau Gazouillant, le Messager Prairial. Ce plateau recto-verso délimite trois tailles de Une différentes : une pour le vendredi, une pour le samedi, et une pour le dimanche.
Dans un temps limité, entre 3 et 5 minutes, vous allez devoir piocher au hasard dans un gros tas de tuiles face cachée, et composer ensuite votre Une de journal en les plaçant. Mais ! Vous ne pouvez pas placer vos tuiles immédiatement, elles doivent rester sur votre petit bureau, et vous devez estimer si vous en avez pris assez pour remplir votre Une. Sachant que la taille de votre Une change à chaque tour, pas évident !
Aussi, si en prenant une tuile celle-ci ne vous plaît pas, vous pouvez la refuser et la remettre face visible dans le tas. Alors, pourquoi ne pas prendre 128 tuiles directement sans les regarder ? Car toute tuile excédentaire vous donnera un malus à la fin de la manche. Mais votre plus grand espace vide vous donnera un malus aussi !
Le timing joue un rôle clé dans ce jeu, puisque dans les 3 à 5 minutes imparties vous devrez à la fois faire votre phase de reportage (sélectionner vos contenus) et votre phase de montage (les positionner).
Au niveau des contraintes, chaque article a une couleur, et il en existe 4. Vous ne pouvez pas placer deux articles de même couleur côte à côte, sinon ils s’annulent tous les deux lors de la phase de comptage. Vous ne pouvez pas non plus placer deux images côte à côte. Chaque tuile article comporte aussi des smileys : tristes pour les mauvaises nouvelles, et souriants pour les bonnes nouvelles. Tâchez de garder l’équilibre !
Dernière subtilité : vous devez inclure des publicités, qui ne vous rapportent aucun point certes, mais qui comportent un aspect punitif : à la fin du jeu, le joueur qui a le moins de revenus publicitaires est tout simplement éliminé ! Cruel.
Pourquoi c’est bien Rédac’ Chef ?
Rédac’ Chef dépolie plusieurs qualités à mon sens : le mix de son univers avec le gameplay surfant sur une notion de timing se marie super bien. Faire un jeu de placement avec contraintes, sur trois tours de 4 minutes environ chacun, c’est fort. On a pas besoin de plus. Il se joue d’ailleurs de 1 à 6, c’est quasiment un jeu d’ambiance ! Rédac’ Chef est punchy, enlève toute notion d’analysis paralysis, et fait tourner votre cerveau à 8000 tours/minute.
Et au niveau de ses défauts ? Je trouve que le jeu n’a pas une rejouabilité infinie, il vaut mieux le garder comme un petit jeu qu’on sort trois fois par an. Le scoring est la partie la plus rébarbative du jeu, et il doit se faire à chaque tour, car le niveau de revenus grâce à la pub doit être connu par tous les joueurs. C’est ce qui dure le plus longtemps dans le jeu, et c’est ce qui coupe le rythme.
En dehors de ça, Rédac’ Chef est une solide proposition de placement de tuiles, marrant, et très réussi dans son édition. Il se dégage du jeu un humour naïf mais très fin, c’est un bonbon dans tous ses aspects. Son gameplay cache plein de petites trouvailles bienvenues, bien thématisées :
- le bouclage d’un journal et la notion de timing
- la gestion de la pliure du journal
- les asymétries avec les flash infos
Au final, Rédac’ Chef m’a fait passer de bons moments, et ses arguments sont bien étayés. On a le feeling du jeu de placement de tuiles dans une superbe édition, et un gameplay punchy. Vraiment très cool pour un jeu vendu moins de 40€ !