Qui n’a jamais joué à se prendre pour un détective ? Examiner une scène de crime, relever des empreintes, recouper des indices, interroger des témoins, faire des hypothèses … Je vous ai déjà fait part de mon attrait pour les jeux d’enquête. Je vous parle aujourd’hui d’une création originale qui vous permet de vivre cette expérience à 200%: le livre-jeu « Les âmes seules ».
Le pitch
Vous êtes à l’aube de XXème siècle, dépêché en urgence dans le village de Rancourt, modeste hameau franc-comtois (en clair : en pleine cambrousse remplie de mecs chelous avec des ombres tout partout !). La tombe d’une jeune femme récemment décédée a été profanée. En tant que jeune inspecteur de police, on vous attend au tournant.
Le père de la victime est un député colérique qui ne tient pas à ce que sa réputation soit entachée, le juge au tempérament électrique ne vous accordera aucune erreur, les villageois terrorisés et marqués par les épreuves du passé ont tous leurs petits secrets… Prendrez-vous les bonnes décisions mais surtout, arriverez-vous à respecter le délai imposé ?
Qu’est-ce qu’il a de plus qu’un autre ?
Présenté sous forme de petit coffret « fourreau » mystérieux, l’objet donne instantanément envie d’être saisi, ouvert et décortiqué. L’illustration principale vous aspire au premier coup d’oeil et vient titiller quelque chose en vous de l’ordre de la curiosité malsaine : vous avez soudainement besoin de savoir pourquoi la tombe de cette jeune victime a été saccagée ?
Est-ce un pervers sexuel venu assouvir ses pulsions de la plus sordide des façons ? Ou bien le geste déraisonné d’une personne blessée au plus profond de l’âme par la perte d’un être aimé ? Ou encore un vagabond qui accomplit des rites spirituels en vue de gagner un jour son propre Paradis ?
L’histoire est incroyablement bien ficelée, sombre mais délicieusement intrigante, la qualité d’écriture est indéniable, parfois même un peu corsée (gardez un dico à portée de main, c’est pas du Levy !). Malgré tout, pas besoin d’avoir fait de grandes études pour comprendre les faits et s’en imprégner.
Comme dans un livre dont vous êtes le héros, vous ne lirez pas tout d’une traite : un paragraphe ou un choix vous fera basculer vers un autre et une fausse piste pourra vous faire perdre le fil de votre raisonnement. Tourner ces pages, revenir en arrière, changer de support… nourrira petit à petit ce sentiment d’être pressé par le temps et même poursuivi par un mal invisible !
Vous n’avez pas affaire à un « simple » livre
Il y a tout un tas d’éléments qui vont venir s’ajouter au fil de la partie sous forme de cartes ou autre : des personnages, des lieux, un plan, des indices etc. Et puis c’est un jeu, ce qui laisse entendre qu’il y a aussi des règles à respecter (mais rien de bien complexe à saisir !).
C’est cet ensemble qui participe à vous plonger dans l’ambiance et vous met une pression dingue. Débloquer un lieu vous donne forcément envie d’aller le visiter mais vous éloigne momentanément de la piste que vous creusiez jusqu’ici. Il faudra faire des choix et vous risquez de vous sentir parfois tiraillé par les multiples hypothèses qui s’imposent à vous !
Vous allez maudire certaines personnes et offrir votre confiance à d’autres, ignorer certains lieux et retourner plusieurs fois en visiter un autre . En bref :vous vivez les choses de l’intérieur !
Niveau ergonomie, c’est assez bien foutu et vous permet en un clin d’oeil de savoir où vous en êtes et de quels indices vous disposez. Un petit plateau sert de support pour disposer les éléments qui s’ajoutent au fur et à mesure et garder en tête le nombre de jours dont vous disposez pour résoudre l’affaire.
Chacune de ces maudites journées vous offre un nombre très limité d’actions parmi lesquelles: interroger un témoin (on attrape alors son livret d’entretiens pour aller au paragraphe recherché), explorer des environs, suivre une piste… Tout est fait pour faciliter la prise en main et profiter de l’essentiel à savoir : l’investigation !
On interagit vraiment avec l’histoire
Chacun de vos choix a un impact en fonction même du moment où vous le faites ! Le jeu offre donc la sensation d’être au coeur de l’affaire qui est réellement en train de se dérouler sans que nous ne puissions empêcher le destin de s’en mêler. De quoi vous flanquer une envie folle de réussir à démêler tout ça au plus vite.
Mais c’est sans compter sur la profusion d’infos toutes plus tentantes les unes que les autres. Croyez-moi, vous aurez envie de vous rendre partout et interpeller tout le monde or vous ne le pourrez pas ! Le temps presse, le milieu politique s’en mêle et vous vous sentirez parfois seul et complètement paumé dans ce patelin isolé et débordant d’étranges secrets.
Suivrez-vous précipitamment cette ombre dans la nuit ? Ou commencerez-vous par les preuves éphémères qui vous tendent les bras ? Douterez-vous des liens évidents et laisserez-vous vos propres émotions vous submerger ?
Vous êtes seul maître de vos choix (et de vos erreurs !), amusez-vous à donner du caractère à votre personnage et vous fier à son instinct. Dans le pire des cas, vous recommencerez ! Le dénouement n’en sera pas spoilé ni gâché pour autant, au contraire : plus grande sera votre soif de réussite !
T’as quelque chose à dire ?
Personnellement, je ne suis pas habituée à ce type de proposition. J’aime lire d’un côté et jouer de l’autre mais n’ai jamais vraiment exploré l’univers des livres-jeux ou jeux de rôle. On se situe sans doute ici un peu à la frontière des deux avec les paragraphes entremêlés de l’un et l’aspect immersif de l’autre mais sans la part d’imagination, ici c’est plus de la déduction, ce qui devrait rassurer les moins adroits à l’idée d’inventer un monde, des créatures, des évènements …
Pas habituée disais-je, j’aurais bien aimé juste un petit feuillet à part, une introduction, pour m’expliquer rapidement qu’il ne fallait toucher à rien, que je pouvais commencer à lire sans risque et que les informations viendraient en temps et en heure. Rien de grave toutefois sauf si vous fouiner et dévorez toutes les cartes avant même d’avoir lu le début du récit (bêta !).
D’ailleurs, les explications arrivent assez rapidement donc un conseil : ne sortez rien de la boîte hormis le livre dont vous pouvez lire la préface, le contexte puis le premier chapitre sans qu’aucune donnée secrète ne soit divulguée (ne feuilletez pas le bouquin jusqu’aux dernières pages, c’est ici que sont regroupées les différentes fins possibles).
Autre petit point : prenez des notes. Encore une fois : surtout si vous n’êtes pas un adepte de ce style d’exercice. Votre mémoire risque d’être mise à rude épreuve. J’ai fait le choix d’écrire l’ordre des paragraphes que je lisais afin de pouvoir y revenir facilement et surtout : parce que je prévoyais de tout foirer un moment donné !
Ecoutez-vous !
L’avantage avec ce genre de plaisir solitaire, c’est qu’on peut le savourer à sa manière sans personne pour imposer son idée. Pour ma part, j’ai suivi les règles à la lettre pour ma première partie et quand j’ai compris que je n’avais pas assez d’éléments pour résoudre l’affaire du premier coup, j’ai fait le choix de ne pas tout reprendre du début !
J’ai repris des passages en fonction de mes annotations en pensant naïvement que cela suffirait à percer tous les secrets, puis j’ai fini par recommencer ! Mais ça ne m’a pas dérangé, c’était même plaisant, j’avais la sensation de faire un pas de côté pour observer les faits sous un angle différent.
Comment ça c’est « tricher » ?
Peut-on vraiment tricher en solo (Sujet de philo : vous avez 4 h !). Quand je fais un jeu d’enquête, mon plus grand plaisir est d’aller au bout et de reconstituer le puzzle. Pas de compter les points ni d’être meilleure que les autres !
« Les âmes seules » n’a pas fait exception : j’ai eu beaucoup de plaisir à respecter les limites fixées au départ mais je me serais gâchée l’expérience si je m’étais imposée de tout refaire à chaque fois. J’ai donc décidé d’ajuster un peu les règles pour atteindre mon but et y prendre du plaisir quel que soit le nombre de retours en arrière nécessaires.
« Plaisir solitaire » ? Vraiment ?!
Si je peux me permettre un dernier conseil : lancez-vous dans cette aventure uniquement si vous disposez d’un temps suffisant pour l’apprécier (pendant que vos sales gosses dorment !) avec une petite musique de fond genre classique mélancolique ou ambiance polar par exemple.
En revanche, rien ne vous oblige à vivre ce périple tout seul dans votre coin (non non et non, on a dit pas de gosse, va dans ta chambre !). Partagez votre lecture à deux et entraidez-vous dans vos recherches, vos hypothèses et déductions. Une scène peut toujours être perçue sous différents angles et un discours, interprété de plusieurs façons. Echanger sur le sujet ne peut être qu’un plus !
Enfin c’est à vous de voir, on a le droit aussi de faire ses débats tout seul dans sa tête et se féliciter d’avoir percé des secrets à jour tout seul comme un grand (ou une grande !).
Mais surtout, surtout ! Si vous voulez faire de ce moment, une parenthèse agréable dans le tumulte du quotidien : isolez-vous au calme et installez-vous confortablement mais pas dans le canap’ : il faut que votre matériel soit à disposition devant vous et vous puissiez écrire et fouiller à tout moment. Je vous rappelle que vous êtes dans la peau d’un enquêteur !
En deux mots
Si vous cherchez un jeu à faire sur un week-end pluvieux, tranquille à la maison, devant un bon feu de cheminée (ou poêle à granulés ça marche aussi mais c’est un peu moins classe), « Les âmes seules » est la proposition parfaite.
Il faut foutre le portable aux chiottes et des coups d’pioche dans la télé (#D.Saez). Ici, vous ne serez pas passif : si l’enquête foire vous ne pourrez vous en prendre qu’à vous même et réessayer encore et encore jusqu’à ce que mort s’en suive les liens se fassent dans votre esprit et que vous trouviez le/les/la coupable(s). Et quand vous réussirez, vous ressentirez une fierté et un soulagement qu’aucune fin de film ne saura vous offrir !
Attention toutefois, je préfère prévenir : la narration est forte dans tous les sens du terme et le décès d’une jeune personne n’est jamais un thème facile à s’avaler (et s’il n’y avait que ça !)… Soyez donc prévenus : âmes seules sensibles s’abstenir ! Etre à deux peut d’ailleurs permettre des temps de débrief’ et de décompression pour ne pas vous laisser submerger par des émotions négatives trop fortes.
Pour adoucir un peu le tout et rendre l’expérience agréable malgré ce contexte difficile et ces évènements macabres, vous pouvez compter sur les illustrations magnifiques totalement raccords avec le thème et l’époque, les cartes lieux découpées en paragraphes pour vous guider aisément tout au long du récit et éviter les erreurs de manipulation ainsi que les autres documents qui contribuent au plaisir du jeu !
J’ai adoré incarner l’inspecteur Lantillet et espère avoir prochainement la responsabilité de mener à bien une prochaine affaire du même acabit.
D’ailleurs, si l’expérience vous tente mais que vous êtes plutôt branché « monde fantastique », sachez qu’il existe un autre livre-jeu dans la même gamme intitulé « Les veilleurs » qui offre aussi son lot de surprises suffisamment différentes des « âmes seules » pour permettre encore de nouvelles sensations grâce à ce concept novateur et passionnant !
- Auteur : Gwalchmei
- Illustrateurs : L.Miny et G.Tavernier
- Editeur : De Architecturart
- Distributeur : Neoludis