En tant que maître du jeu (ou maître du donjon dans D&D) lors d’une partie de Donjons & Dragons, vous êtes souvent tenté d’offrir à vos joueurs des informations supplémentaires à la fin de la partie. Des détails d’aventure manqués, le trésor qu’ils n’ont pas trouvé, ou encore les conséquences possibles si seulement ils avaient pris une autre voie ? Ce sentiment est légitime, mais je pense que ce n’est pas une bonne idée. C’est dur hein, mais divulguer certaines informations à vos joueurs peut en réalité nuire à leur expérience. J’ai rassemblé dans cet article 5 choses à ne jamais révéler aux joueurs !
1. Si le personnage ne le sait pas, le joueur ne devrait pas le savoir non plus
C’est la règle d’or. La plupart des autres points spécifiques que nous allons aborder découlent de cette simple ligne directrice. Si le personnage du joueur dans le jeu ne sait pas quelque chose, alors le maitre du jeu ne devrait pas divulguer cette information au joueur. Je sais que la tentation est grande, et parfois j’y cède moi aussi.
En cédant à cette tentation vous enlevez directement du plaisir de découverte au joueur en question, de la « vérité dans votre monde. Même inconsciemment, cela impacte l’expérience du joueur.
Ne le faîtes que si les joueurs débutants découvrent un nouvel univers, et que ces infos vont servir à leur faire comprendre les rouages du jeu, pendant les deux premiers scénarios.
2. Ce qui est écrit versus ce qui est improvisé
Chers maitres du jeu, gardez précieusement cette information. Ne la révélez jamais à vos joueurs. Ne leur montrez pas ce que fait le MJ derrière son écran. Il est préférable que vos joueurs croient que tout a été préparé à l’avance, oui, même ce PNJ surgi du ciel pour les aider alors qu’ils pataugeaient dans votre scénario bac à sable.
Tout révélation sur le côté improvisé sera pris pour du bricolage fait pour leur faciliter la vie, et souvent les joueurs préfèrent l’âpreté d’un scénar, en général. L’improvisation doit faire partie de vos compétences en tant que MJ, petit à petit, sinon vos joueurs sentiront que vous suivez les rails d’un scénario et que leurs actions n’ont pas d’impact sur l’histoire.
Faites en sorte d’avoir quelques scènes incontournables en tête dans votre préparation, mais peut-être qu’elles peuvent avoir lieu dans différents endroits ? Ou peut-être qu’il y a plusieurs chemins pour se rendre à cette scène ? Que plusieurs actions peuvent la déclencher ?
Pro-tip Maître du Donjon
Ayez toujours une liste de noms prête sur un papier derrière votre écran. Des noms variés, de toutes les races. De cette manière si un PNJ improvisé entre en scène, et que les joueurs demandent son nom, vous n’êtes pas pris au dépourvu et les joueurs penseront que ce PNJ n’est pas improvisé…
3. Les éléments manqués lors d’une aventure
Les trésors cachés, les portes dérobées et les zones secrètes sont les éléments les plus fréquemment manqués lors d’une aventure. Vous pourriez penser qu’il n’y a aucun mal à révéler à vos joueurs ce qu’ils ont manqué une fois l’aventure terminée. Et bien en fait, non, vous auriez tort.
Deux raisons principales justifient cela.
- il se peut que vous réutilisiez certains de ces éléments dans une future partie. Oui, c’est vrai, chers maitres du jeu : bienvenue dans le monde du recyclage de votre contenu non utilisé pour de futures aventures.
- ensuite, il y a le mystère. Le non-dit alimente la curiosité et stimule l’imagination. C’est bien plus amusant de ne pas tout savoir. Le mystère tient en haleine les joueurs, les fait s’impliquer et parler de ça pendant des mois. Qu’y avait-il dans cette crypte qui s’est effondrée ? Que voulait dire cet ascète sur le bord du chemin, avec ses runes ? Pas besoin d’expliquer la vérité, le fantasme marche mieux. Dîtes-leur plutôt : « vous avez manqué pas mal de secrets la dernière fois » ça les mettra sur le qui-vive pour le prochain scénario !
4. Ne révélez jamais vos trucages et même mieux…
Un jet de dés un poil modifié ? Un résultat un peu plus clément ? Une porte qui n’est pas censée être là ? Un piège que vous oubliez gentiment ? Ok. Mais. Jamais, jamais, jamais vous ne devez révéler de tricherie d’aucune sorte à vos joueurs. Que vous ayez modifié vos jets de dés derrière l’écran pour éviter un TPK (Total Party Kill) ou que vous ayez accepté leur solution à une énigme alors qu’elle n’était pas la bonne : gardez-le pour vous. Vous aviez prévu trois ennemis de plus mais les joueurs sont presque morts ? Pas grave, gardez vos joueurs en vie si possible, qu’ils ne meurent pas dans une vulgaire escarmouche avec des kobolds.
Car voici le problème lorsque vos joueurs savent que vous truquez le jeu : cela supprime totalement le player agency, c’est à dire leur capacité à influer sur le monde qui les entoure. Si vos joueurs pensent que vous trichez à leur avantage, c’est le pire qui soit. Peu importe l’ennemi et les réponses, ils gagneront toujours. Lorsque vos joueurs savent que vous trichez pour influencer les résultats, et surtout si c’est pour raconter l’histoire que vous voulez raconter, cela peut carrément ruiner l’expérience de jeu pour eux.
Ils sauront que votre monde n’est pas un monde cohérent et logique où leurs choix comptent ; au lieu de cela, c’est un monde figé où vous décidez simplement ce qui se passera quand et vos joueurs sont impuissants à le modifier.
Mieux, je vais vous donner une meilleure solution que de ne pas leur dire que vous trichez : arrêtez de tricher, surtout. Dans mes parties, mes jets de dés sont visibles pour la plupart, sauf pour certains jets de sauvegarde contre la mort, qui accentuent la dramaturgie. J’aime bien que mes joueurs voient les dés. Je veux qu’ils sachent que je ne change pas les résultats derrière l’écran.
5. Les conséquences alternatives
Après une partie, les joueurs adorent vous demander : « Et si on avait fait ci ou ça à la place, qu’est-ce qui se serait passé ? ». Mon conseil est de garder le mystère. Répondez simplement par quelque chose du genre : « On ne le saura jamais », avec un sourire en coin et un air satisfait. C’est plus amusant pour tout le monde s’ils ne savent pas (spoiler : ça se trouve ce choix n’existait pas, ou alors vous étiez en train de broder une impro :D).
Bien sûr ce n’est pas une règle à graver dans le marbre, si une fois ou deux vous glissez une telle information ça ne va pas disloquer votre groupe d’excellents joueurs. En revanche si à chaque scénar vous débriefez avec toutes les conséquences possibles, cela enlève de la saveur à l’aventure réelle vécue par les joueurs ! Faîtes-leur comprendre qu’il y avait peut-être d’autres mystères, mais restez évasif…
6. Les statistiques des monstres
Ne partagez pas les informations sur les caractéristiques de vos monstres/ennemis avec vos joueurs. Il est préférable de laisser vos joueurs vivre le mystère et le suspense de ne pas savoir ce que cette chose étrange qu’ils ont combattue était, ou tout ce dont elle était capable.
Si votre joueur fait un jet d’attaque à 14 et touche votre monstre, ne leur dîtes pas qu’il lui reste encore 8 ou 24 points de vie. Décrivez son état, si il saigne ou semble fatigué/blessé. Laissez les joueurs tâtonner et imaginer le reste. L’inconnu rajoute une dimension épique, rajoute de la peur à vos rencontres. Et quand ils prendront un niveau suite à cette rencontre, leur sourire ne sera que plus satisfait.
Plus vous orientez votre récit vers des chiffres statistiques, et moins les joueurs seront immergés. Contentez-vous du minimum, et laissez les joueurs craindre vos attaques et imaginer des caractéristiques bien plus importante qu’elles ne le sont. Pareil pour la description des sorts, décrivez les effets, pas forcément le nom du sort (quand c’est possible).
Tous les conseils que je donne ici ont un seul but : partager une meilleure histoire avec vos joueurs. Le mystère fonctionne, et des centaines d’années de narration, dans la littérature ou les films, l’ont prouvé. Toute l’oeuvre de Stephen King, expliquée à 100%, ne vaudrait pas ce qu’elle vaut actuellement, remplie de zones d’ombre et de mystères. Je pourrais ajouter l’oeuvre de Lynch et Twin Peaks, ou dans un autre média, le jeu Alan Wake, source de centaines de théories d’explication.
Les arcanes de la narration demandent beaucoup de pratique, et même après 20 ans de jeu de rôle je continue à progresser, je crois. Quand on se lance dans le mastering en jeu de rôle on imite souvent les MJ que l’on a côtoyés en tant que joueur, avec leurs bonnes et leurs mauvaises habitudes.
C’est votre job de creuser un peu sur les techniques de masterisation, avec comme objectif de créer votre style, votre façon de mener une aventure. J’espère que ces quelques conseils vous ont un peu aidé, ou vous ont donné des pistes de réflexion. Vos secrets doivent être bien gardés, et laissez vos joueurs découvrir le monde et le changer par eux-mêmes.