Depuis le festival de Vichy 2023 (et même avant pour certains petits chanceux), on voit circuler des images et des avis sur cette petite boîte au thème champêtre : Flowers qui promet des parties rapides, tendues et terriblement addictives ! Nath vous le présentait dans un article détaillé. Aujourd’hui, L’auteur et l’éditeur se livrent sur sa naissance dans ce carnet de board.
Planter sa graine
Salut à tous ! Moi c’est Paul-Henri, l’auteur du jeu Flowers dont il est question ici et qui arrive dans vos boutiques très prochainement. C’est mon petit dernier que je couve depuis plus de trois ans et qui voit enfin le jour dès cette fin de semaine puisque quelques boîtes seront disponibles à la vente pour le festival L’Alchimie du jeu à Toulouse qui se déroule les 3, 4 et 5 mai !
En tant qu’auteur, j’ai déjà donné naissance à plusieurs jeux d’associations d’idées : Perfect Words qui s’adresse à toute la famille et a remporté un joli succès l’an dernier (nommé à l’As d’or mais ça Paul est trop modeste pour le dire !) ou encore Nimbus et Stratus plutôt à destination des enfants et pré-ados. Avec mon complice Mathieu Roque, nous venons aussi de lancer notre gamme de jeux de pichenette appelée « Pitchgames » qui se veut fédératrice de bonne humeur et de compétition à tous les âges !
Professionnel dans l’enseignement spécialisé, Paul-Henri accompagne des collégiens au sein d’une classe ULIS (Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire). Il a à coeur de favoriser les apprentissages et n’hésite pas à détourner les techniques pour y parvenir notamment en utilisant des jeux. Les élèves sont ses premiers testeurs et ont largement contribué au développement de chacune de ses oeuvres en donnant leurs avis sincères et réfléchis après plusieurs parties d’essai.
Le jeu permet de faire des liens, des connexions dans notre cerveau. C’est ce phénomène qui, plus tard, permet à l’enfant de capter une information, re-situer les choses dans leur contexte et résoudre un problème. Ca, Paul-Henri et sa compagne, elle-même enseignante en classe ULIS primaire, l’ont bien saisi et s’impliquent totalement pour défendre cette cause et mobiliser les capacités intellectuelles de tous les élèves. Je vous invite à jeter un oeil au Guide qu’ils ont créé en partenariat avec Blue Orange. Les fiches pédagogiques qu’il contient sont limpides et immédiatement utilisables pour tout professionnel du secteur de l’éducation ou du médico-social.
Mais revenons à Flowers,
Du départ, mon petit jeu de cartes consistait déjà à de la construction de tableau. Je voulais que le dilemme de pose réside majoritairement dans la gestion couleurs et valeurs des cartes.
Faire germer l’idée
Au départ, c’était un jeu de combo : quand on alignait trois cartes de valeurs identiques, on les ramassait pour faire 1 point.
En 2022, le jeu était habillé sur le thème du potager : chaque carte représentait un légume et un outil avec toujours cette idée de double information.
Il fallait poser sa carte à côté de deux autres légumes identiques pour les faire pousser. On plaçait alors des tokens pour matérialiser cela. Mais il fallait aussi penser à faire correspondre les outils car pour récolter ces légumes il fallait que trois outils identiques se touchent.
A la fin, le joueur avec le plus de légumes remportait la partie.
Pendant deux ans, j’ai apporté des variations: Météo, Lune, Engrais, Irrigation… Et à chaque regroupement d’auteurs, je présentais les modifications. Il y avait bien « quelque chose » mais c’était long et très (voire trop) calculatoire… Mes élèves l’ont senti avant moi : trop de paramètres risquait de noyer le jeu !
Let the sunshine
A partir de 2023, on a pris le temps avec Gérald Cattiaux, l’auteur de Master Word et Stella, de se poser pour faire le point. On se connaît depuis longtemps, on est potes. Depuis deux ans, on habite le même village alors on se montre régulièrement nos prototypes pour se conseiller mutuellement. A cette époque, Gérald entame les démarches pour créer sa maison d’édition : « Actarus » chez qui Flowers va sortir : « J’aime l’idée de faire les choses de A à Z. Auteur c’est chouette mais il y a beaucoup d’attente, on est très dépendant des autres. J’avais besoin d’être plus actif ! » (Gérald Cattiaux).
Après plusieurs discussions, on est tombé d’accord : il fallait se recentrer sur la base : valeur/couleur.
On s’est posés les bonnes questions : à qui s’adresse le jeu ? Qu’est-ce qui l’alourdit ? Comment peut-on l’épurer pour ne garder que l’essentiel : On a viré les tokens, les outils, les légumes pour retrouver l’essence même du jeu : le placement, les dilemmes.
Gérald : « A partir de là, j’ai senti qu’on pouvait en faire quelque chose de très chouette. Par la suite, tout s’est fait sur des échanges permanents avec Paul-Henri, du plus petit détail jusqu’aux grands changements. Et c’était très chouette ! »
Changer les choses avec des bouquets de roses
Chacun de notre côté, on a alors enchainé les tests en famille, avec les amis, en classe… avec beaucoup de réglages à prévoir mais une efficacité palpable !
Fini le potager ! On se concentre sur la base : poser une carte dont la valeur indique le Groupe auquel elle devra appartenir en fin de partie (Un Groupe de valeur 3 est constitué de trois cartes de 3).
« Je me suis rapidement rendu compte que l’on allait devoir rester sur quatre valeurs et que la plus grande d’entre-elles (le 4), plus exigeante, devait avoir une compensation d’où l’apparition des Papillons. »
On s’est ensuite focalisés sur l’expérience de jeu : comment éliminer tous les « parasites » pour être dans l’action immédiatement et rendre la partie tendue ?
C’est la part importante du travail de l’éditeur Actarus d’enlever alors tout ce qui semble superflu pour simplifier au maximum et placer les curseurs exactement à l’endroit voulu pour obtenir le ressenti souhaité.
De nombreux essais (et des erreurs !) ont fini par aboutir aux points suivants :
- Une mise en place rapide : constituer trois pioches et retourner les cartes au sommet de deux d’entre-elles
- Pas de cartes en main donc pas de programmation mais un peu de projection
- Des tours de jeu simples et fluides : Piocher, poser
- Pas de temps mort, pas d’oubli, pas d’exception, pas de règle supplémentaire
- Deux cartes visibles, une cachée: du contrôle, de la chance et de l’opportunisme
- Pas de pile entièrement visible : on retourne la carte à chaque fois. On a cette sensation de révélation » qu’est-ce que tu m’offres cette fois ? ». Et on râle ou… on est content et les autres râlent !
- Fin de partie décidée par les joueurs quand ils finissent une pile. On se dépêche pour mettre l’autre dans l’embarras ou on prend notre temps ?
Y a toujours une épine !
Les parties s’enchaînent et appellent systématiquement à la revanche mais il y a un truc qui est pénible : compter à chaque fois les cartes pour préparer les piles lors de la mise en place.
J’évoque le souvenir d’un jeu avec une carte-repère pour préparer les différents tas. Gérald, bricoleur, décide de créer un gabarit avec une encoche pour simplifier cette étape, il faudra un moment avant de changer mes vieilles habitudes mais j’adopte finalement vite cette idée qui a l’avantage de ne pas casser le rythme !
L’amour est un bouquet d’Hortensia, de Lilas, d’Anémones de Violettes
La direction artistique a été revue de nombreuses fois que ce soit pour les cartes ou la boîte. Le but était d’avoir une clarté de l’information, une lecture immédiate tout en proposant quelque chose de joli et agréable à regarder.
Après l’avoir beaucoup montré, on a eu 80% des retours négatifs: « le jeu est super mais c’est moche, c’est vieux… ». Retour vers l’illustratrice Julie Gruet qui nous propose un truc plus moderne, plus visuel, plus coloré et surtout hyper lisible. Banco, c’est validé ! Et depuis, on a que des retours positifs. En festivals , parfois des gens s’arrêtent jouer juste parce que c’est beau.
Pour la boîte, la volonté d’Actarus était de faire comprendre aux joueurs que c’est accessible et les laisser imaginer ce qu’ils vont faire : placer les cartes sur la table en fonction de leurs valeurs/couleurs pour créer un tableau.
Il y a eu aussi l’envie d’ajouter des variantes : « les Quatre saisons », « la Fontaine », « les Papillons », « les Chemins »…pour offrir une expérience différente, plus contraignante et stratégique afin d’attirer un public peut-être plus « initié ». Mais, au final, on s’est résolu à se séparer de certains modules afin que le jeu de base soit le meilleur possible. Ca n’a pas été facile mais au final, je pense que pour l’équilibre du jeu c’était primordial (là encore, mes élèves ont validé ! Et pourtant ils avaient passé du temps à tout tester !).
Les Papillons ont donc intégré le jeu de base parce que le challenge et le dilemme qu’ils amènent sont indispensables : En fin de partie, ils doivent être adjacents à une carte de la même couleur que leurs ailes pour scorer, ils sont donc discrets mais orientent les choix.
L’option « Fontaine » quant à elle, est devenu la variante « Summer » qui modifie un seul point de règle pour ajouter tout de même pas mal de difficulté et ainsi satisfaire les joueurs plus exigeants en matière de casse-tête.
Pour finir, les solitaires y trouveront également leur bonheur puisque la mécanique se prête aussi bien à la compétition jusqu’à quatre adversaires qu’en mode défi solo pour relever le dernier niveau atteint !
Une jolie vache déguisée en fleur
Maintenant si le jeu est joli, apaisant à regarder et simple à appréhender. Question scoring, c’est là qu’ça se corse !
La question était de savoir comment inciter les joueurs à créer des zones de couleurs ? Et comment rendre les valeurs suffisamment contraignantes ? De là, en a découlé l’idée qu’un groupe ne serait valide que s’il était constitué d’un minimum de cinq cartes de la même couleur.
Donc, pour résumer :
- Quand on pioche et pose une carte, on veille à ce que sa valeur respecte le système de placement (les Groupes): une carte seule de valeur 1, deux cartes collées de valeur 2, trois cartes adjacentes de valeurs 3 (peu importe leurs couleurs !)
- Mais on anticipe aussi la fin de partie car chaque Groupe ne sera comptabilisé que s’il appartient à un ensemble d’au moins cinq cartes de même couleur !
Là, les deux aspects s’imbriquent parfaitement et on tient notre produit final !
Marguerite c’est mes coups d’jus, c’est mes coups d’foudre !
Arrive un distributeur qui y croit beaucoup : Asmodée. Puis un festival de Cannes où les gens font la queue pour y jouer et veulent l’acheter dès la première partie.
Patience, le jeu sort en mai ! Les boutiques l’adorent et ça c’est génial parce qu’elles sont le lien entre Flowers, les joueurs et nous !
Au festival de Pau, le jeu a battu le record de vente de la boutique : stock explosé en une journée ! On attend l’Alchimie avec impatience, il y aura même une carte goodie pour les collectionneurs : le Muguet (mai oblige) !
Les créateurs de contenus semblent unanimes et croient au potentiel du jeu, ça fait tellement plaisir. Depuis peu, il est jouable sur BGA et des commandes de différents pays affluent dans tous les sens… Flowers commence sa carrière internationale !
La suite de l’histoire, c’est à vous de l’écrire…
Et pour suivre les actualités du monde ludique et écouter les conseils en matière de passerelle entre le jeu et l’apprentissage, vous pouvez retrouver le passage de Paul-Henri chez Un Monde de Jeux ou encore écouter les podcasts C’Ludik sur Station Millénium.