Cette année, un jeu étrange s’est glissé dans la liste des nommés à l’As d’Or, dans la catégorie jeux pour initiés: Alice is missing. Un jeu où les participants vont échanger des messages pendant 90 minutes, dans un silence seulement troublé par une bande-son évocatrice. Son succès en tant que jeu de rôle de l’année, meilleures règles et meilleur produit aux Ennies (édition 2021), les récompenses du jeu de rôle distribuées à la GenCon, était un bon indicateur de son potentiel.
Un jeu silencieux mais pas muet
Alice is missing est un jeu d’interprétation avant d’être un jeu d’investigation. Vous êtes les proches d’Alice, une étudiante de la petite ville de Silent falls qui a disparu. Durant les « jours » qui suivent, vous allez discuter avec vos compagnons pour comprendre ce qui s’est passé et surtout démêler l’écheveau de relations et de secrets qui se sont accumulés avant l’incident. La préparation est cruciale. Pendant environ 45 minutes, vous allez définir qui vous êtes, quel secret vous cachez, quelles relations particulières vous entretenez avec certains joueurs.
Puis le décompte commence. Un vrai décompte chronométré de 90 minutes, qui vous fera révéler des indices au fur et à mesure, déclenchera certains événements à des moments donnés et vous mènera vers la vérité. Peut-être.
90 minutes pendant lesquelles vous échangerez vos impressions par écrit, à la première personne, dans un groupe de discussion commun! 90 minutes où vous écrirez une chronique moderne par messages privés ou partagés. Si vous étiez à la télé, ce serait 13 reasons why, Riverdale ou Pretty little liars en version courte. Mais vous pouvez aisément le teinter d’une ambiance à la Twin peaks ou Life is strange (le jeu vidéo).
Pas besoin d’être un acteur né. Le jeu fait appel à l’une des plus grandes facultés humaines du XXIe siècle : envoyer des messages sur son téléphone.
Jeu d’enquête, murder-party, escape game ou jeu de rôle?
Jeu de rôle, définitivement. L’enquête ne suit pas un script strict. L’expérience et l’immersion narrative en constituent l’essence, comme un mini-jeu de rôle grandeur nature. A la manière de Pour la Reine ou Rituels de For The Story, le jeu mise sur une improvisation guidée par des cartes. Il nécessite un peu de temps de préparation et l’investissement de l’un des joueurs pour tenir le rôle de facilitateur, c’est-à-dire savoir expliquer la mise en place et les étapes de la partie.
Alice is missing peut se jouer à distance, l’éditeur Hunters entertainment ayant préparé les outils pour l’héberger sur des plateformes de jeu (via Roll20 ou Discord) mais on peut le faire soi-même, via Whatsapp ou Messenger, avec un peu de travail de mise en place. C’est l’un de ses paradoxes : on peut être séparés mais l‘expérience est encore meilleure avec la proximité des joueurs, notamment durant le débriefing.
Un jeu qui divise
…pour différentes raisons.
La première est sa forme. Beaucoup reprochent une inflation du texte du manuel de jeu, qu’ils attribuent à l’écriture et le propos, tous deux inclusifs. Sachant la frilosité du public francophone à tout ce qui touche à la neutralité de genre ou aux questions de sécurité émotionnelle dans le jeu, on ne peut que saluer l’éditeur français Origames d’avoir respecté l’approche de la version originale. La note d’intention est au moins claire, même si elle ne brosse pas tous les publics dans le sens du poil. La mise en place est au final assez claire et très bien résumée pour qui veut se lancer immédiatement.
La deuxième est sa finalité. De nombreux joueurs sont décontenancés par l’aspect non conclusif du récit. Vous pouvez construire une infinité de récits, mais ils peuvent se terminer de manière abrupte, en laissant des fils d’intrigue en suspens, des mystères irrésolus et, pire pour pas mal de critiques, le destin d’Alice incertain.
Alice is missing fait partie de ces expériences culturelles où le voyage est plus important que la destination. Peut-être qu’au terme de votre session, vous arriverez à une issue fermée mais vous vous rappellerez surtout l’atmosphère et les rebondissements.
Le silence après du Alice is missing est encore du Alice is missing.
Le silence justement. Comment l’expérience peut-elle être collective si on reste chacun dans son coin ? Parce que le dialogue est constant. Les messages personnels ou partagés s’affichent constamment et le temps file alors qu’on gère toutes ces conversations, qu’on échange ses théories ou qu’on joue son rôle à fond, salissant la réputation de l’un alors qu’on le révère d’autre part. Une interaction infiniment plus forte que dans bien des jeux de plateau de gestion de ressources…
Enfin, l’aspect ouvert du jeu déconcerte. Chaque joueur y amène ce qu’il veut, en se basant peu ou prou sur l’introduction. Parfois le surnaturel s’invitera ou la science-fiction ou le burlesque. Parfois certains témoignages ou certaines consignes se contrediront. C’est tout le sel des rumeurs: qui a raison et qui se cache ? Cela fait partie de la préparation de la partie de se mettre d’accord sur la gestion de ces incohérences: folie, mensonge ou erreur d’interprétation ? Tout cela peut alimenter le récit.
Dans les épisodes précédents…
Et la question inévitable : est-il rejouable ? Probablement pas chaque semaine car l’expérience est intense. Mais il y a plusieurs manières de la renouveler, à part le temps qui passe. Tout d’abord, le jeu en lui-même se compose de plusieurs cartes indices différentes. Elles se déclenchent durant la partie à intervalles réguliers pour relancer ou pimenter l’histoire. Toutes ne seront pas utilisées au cours d’une même partie, tout commes les cartes suspects.
L’extension Silent falls, récemment proposée en anglais par une campagne de financement participatif, est annoncée en français pour avril 2024. Elle introduit de nouveaux suspects, lieux, personnages, indices,…En attendant, vous pouvez utiliser les « mods » proposés sur le site de l’éditeur français, Origames (https://www.origames.fr/produit/alice-is-missing), qui ajoutent des variations de thème autour de l’original. Et si les personnages avaient des pouvoirs spéciaux. Vous voici dans Gen V, le spin off de The Boys. Un peu de fantastique? Ou une approche plus réaliste à la Nordic noir ? Tout est possible.
Ecole de magie, vampires et loups-garous, True detective,… Ce système met à votre portée les univers les plus légers comme les plus sombres, pendant 90 minutes d’anthologie. Alors, qui était vraiment votre Alice ? Plutôt Laura Palmer ou Brit Marling ?
Ma boite attend sagement à l’appart, en attendant de trouver un groupe qui voudra bien tenter l’aventure avec moi !
J’ai hâte ! et encore plus maintenant
Pour notre groupe de jeu la frustration (voir plus) est née en effet de l’absence d’une « vraie » fin. Le jeu avait été acheté sur la base des avis positifs et de l’aspect narratif que l’on voulait essayer. Le gros problème c’est que (de mémoire, mais je me trompe peut-être) le jeu ne prévient pas que la fin peut être complétement ouverte. Le truc c’est que tout au long de la partie le timer et les cartes viennent en appui de l’histoire pour donner des directions, sauf qu’il manque une carte de fin.
Pour moi là-dessus il y a un souci : soit le jeu nous indique clairement que la fin sera celle qu’on se racontera soit il ajoute une carte « finale ». Mais nous prendre par la main tout au long du récit pour nous abandonner sur la dernière étape c’est non.
Pour notre part ça nous a complétement gâché l’expérience et comme ça reste un jeu dans lequel on s’implique, on était limite sur un sentiment de colère vis-à-vis du jeu.
Donc en effet, grosse alerte sur cet aspect : c’est à vous de donner la fin que vous souhaitez à votre histoire !
salut, oui je suis assez d’accord. Là où dans d’autres jeux narratifs comme Fragments ou For the Story on sait d’entrée que tout sera créé par les joueurs/joueuses, avec Alice on a l’impression que le jeu va nous donner quelque chose à lui. Mais c’est structurellement impossible en vrai. Mais on reste sur un goût d’inachevé à cause de cette attente. C’est certain que si je refaisais une partie ce serait différent dans l’approche. Il reste tout de même une expérience ludique vraiment spéciale qui vaut le coup quoi qu’il arrive.
Mais c’est vrai que certains jeux nous mettent parfois en colère. Ca me le fait perso sur tous les jeux de type Unlock, ou Sherlock. Et récemment Earthborne Rangers…