Quand le nom d’Eric Lang apparaît dans un projet ludique, les yeux de milliers de joueurs brillent. Spécialisé dans le gros jeu eurotrash expert, il s’attaque cette fois à un jeu beaucoup plus accessible avec Le Monde de Reterra. Un jeu de tuiles assez épuré, qui se place d’ores et déjà comme l’un des candidats pour le meilleur jeu de l’année.
Reconstruire une communauté (avec un djembé)
Le pitch du jeu semble dicté par votre punkachien préféré :
« Le monde a été dévasté man, c’est Babylone, tout est la faute du capitalisme man. Maintenant tout repose sur la communauté, tu vois man ? Passe-moi des feuilles man, on va refaire le monde, woyoyo yo. »
Reconstruire une communauté est donc le sous-titre du jeu, et vous allez pour ça disposer de tuiles de terrain, sur lesquelles vous allez poser bâtiments et habitants. Le Monde de Reterra est en quelque sorte le rejeton d’un couple multiparental hippie composé d’Akropolis, de Cascadia et de Nimalia. Peut-être même un enfant prodige ! Voyons ce qu’il a dans le van.
Un modèle d’édition ?
Graphismes
Passée la blague sur la thématique redondante des jeux nature, j’étais assez attiré par les graphismes du jeu. Et j’avais raison : les visuels de Reterra ressemblent à un mix de Moebius et Leiji Mastumoto. Un rétro-futur fourmillant de détails, je pense à Amer Béton ou à l’Incal. Un peu du jeu-vidéo Fez aussi. Fait curieux : le graphiste Hugo Cuellar n’est pas mentionné sur la boîte. Mais son travail est remarquable : une espèce de fausse naïveté et des couleurs flashy mais bien coordonnées. Un trait bande-dessinée/manga que je trouve très cool.
Iconographie
L’iconographie est un cran en-dessous, avec des icônes de reliques que je trouve cliché, entre téléphones et ballons de foot…Aussi, le dos des tuiles n’est pas vraiment imprimé (un petit pattern de feuilles quasi invisible) tout comme le plateau des bâtiments. Dommage.
Matériel
Concernant le matériel, c’est presque un sans-faute : des gametrays super bien foutus contiennent votre matos et ravit les verticalistes, en plus de donner accès facilement aux composants. Les tuiles sont épaisses et lisibles. Les cartes représentant les bâtiments sont jolies et qualitatives.
La règle, lisible et bien faite, est un sans-faute.
Le plateau pour ranger les bâtiments est lui aussi lisible et ergonomique (même si il se replie bizarrement)
Le papier et le carton utilisés dans le jeu sont issus de forêts FSC, et le plastique recyclé à 30%.
L’impression globale que donne le jeu, visuellement, est très positive. L’éditeur Hasbro a fait du beau boulot, même si à 35-40 euros au final, il lui manque quelques détails pour atteindre le firmament éditorial.
Le gameplay de Reterra
A quoi on joue dans Reterra ? De manière assez limpide, chaque joueur va constituer un carré de 16 tuiles. 4×4 tuiles, dont une de départ, soit 15 tuiles à jouer au total. Un pur jeu de placement de tuiles, dans lequel vous allez essayer d’optimiser leur placement en fonction de différents critères, certains communs à toutes les parties, et d’autres qui sont relatifs aux cartes.
Les terrains : des zones de couleur
Sur chaque tuile de Reterra figurent des zones de couleur, appelées terrains. De différentes couleurs, ces terrains seront à rassembler en zones contigües d’au moins 7 cases pour vous faire marquer des points.
Chaque terrain est divisé en 4 cases, et ces cases peuvent être de la même couleur ou de couleurs différentes. Sur ces cases figurent parfois :
- des engrenages, sur lesquels vous construirez des bâtiments
- des reliques, icones blanches qui vous feront marquer des points
Vous allez constamment hésiter (en fonction des bâtiments disponibles) pour assembler de grandes zones de même couleur, ou des petites zones de 7 cases. Au final vous ne poserez que 16 tuiles, donc chaque choix est crucial.
Les bâtiments : un système de scoring central
Dans Le Monde de Reterra, à chaque partie vous aurez cinq types de bâtiments à l’achat. Ces bâtiments sont à choisir parmi les 30 disponibles : soit à l’aveugle soit dans des configurations suggérées.
Les bâtiments vous rapporteront votre principale source de points en fin de partie. Soit sur une valeur fixe, soit en vous faisant tirer parti de vos terrains, de vos habitants ou de vos reliques. Certains bâtiments iront embêter vos voisins en leur donnant des malus.
Pour construire un bâtiment, il vous faudra aligner les symboles d’engrenage de la manière demandée. Ensuite vous le posez et dès le tour suivant il sera actif.
Les reliques : à double tranchant
Les symboles blancs sur les tuiles sont des reliques. Ils vous rapportent un point en fin de partie, ou plus selon les bâtiments. Parfois des bâtiments demandent un certain nombre ou types de reliques visibles pour scorer.
Mais les reliques peuvent se transformer en objets de bric à brac : des tokens qui recouvrent la relique et vous donnent en plus un malus de 1 point.
Les habitants
A chaque fois que vous posez une tuile, vous pouvez décider de poser un habitant sur un engrenage. Il vous rapportera un point à la fin. Problème : vous devez le faire au moment de la pose de ladite tuile. Du coup vous vous supprimez la possibilité de poser un bâtiment plus tard.
En même temps c’est votre seule chance de le poser, donc pensez à le faire sur vos engrenages isolés !
La rivière de tuiles
Les tuiles sont à choisir parmi trois tuiles cachées dans votre main au départ, et une rivière de tuiles disponibles pour tous. Comme dans Akropolis ou Cascadia vous allez à la fois prendre les tuiles les plus intéressantes, et à défaut les tuiles qui intéresseraient vos adversaires.
Ces éléments imbriqués rendent le tour de Reterra hyper fluide et simple : prendre une tuile, ajouter un habitant ou un bâtiment, appliquer les effets des bâtiments, remplir la rivière, fin de tour.
Un gameplay assez épuré, qui donne un peu d’analysis paralysis parfois, mais qui donne toute son accessibilité au jeu. Les règles font 6 pages illustrées, le tour de jeu est indiqué sur le plateau. Une simplicité qui n’empêche pas du tout de lui trouver une certaine profondeur : comprendre les bâtiments et leurs combinaisons, adapter votre stratégie à votre tuile de départ et votre main initiale…
Reviens sur la ReTerre
Ce gameplay et ce matériel donnent à Reterra une excellente rejouabilité. Les cartes bâtiments sont recto-verso et vous pourrez librement expérimenter des configurations qui changent complètement le jeu.
Le Monde de Reterra est d’ailleurs l’un des seuls jeux familiaux/initiés qui sortira dans ce format cette année. Là où tous les éditeurs se focalisent sur de plus petites boîtes, ou des boîtes à 30€ max, Pixie Games localise ici un jeu autour des 40€.
C’est moins étonnant puisque le jeu est américain et édité par Hasbro à la base. Autre pays, autre économie.
L’aspect « jeu naturel » est d’ailleurs bien réalisé : que ce soit les gametrays ou les cartes, les tuiles ou la règle, tout se tient bien et supporte la comparaison avec du matériel plus classique. On est donc loin de la catastrophe Earthbound Rangers.
Je l’ai joué à 4 joueurs et à 2 aussi. Je pense que c’est un 3-4 joueurs car à deux l’interaction n’est pas intéressante : quelques cartes vous disent d’embêter vos voisins de gauche et de droite…Ca tourne à deux mais c’est un peu moins la guerre sur les tuiles, et les tuiles se renouvellent moins aussi.
Un jeu qui a du chien
Au final, Le Monde de Reterra combine à merveille les ingrédients de ses géniteurs. C’est un superbe jeu de tuiles, qui mérite probablement une place dans votre ludothèque à côté de Cascadia et d’Akropolis.
Peut-être moins brillant qu’Akropolis en termes mécaniques, mais sacrément plus joli et thématisé. Peut-être moins maîtrisé que Cascadia, mais un peu moins répétitif. On peut d’ailleurs facilement imaginer des extensions avec des decks de bâtiments ou de tuiles avec effets nouveaux.
Fluide et rapide à sortir, Reterra s’adresse avant tout à un public familial et initié. Mais tout comme Akropolis ou Cascadia, le entre les mains d’un expert a du sens aussi, et tout le monde prendra du plaisir.