Un jour de folie à Essen 2023, j’avais fait la queue pour me procurer une pépite de jeux de plis made in Japon : Nokosu Dice. Sur le stand de l’éditeur, d’autres boîtes faisaient un peu moins la hype mais méritaient l’investissement. Un certain Luz, dont je vous parlerai bientôt, et Robotrick. Je l’avais un peu laissé de côté sur la pile de la honte, mais comme le jeu est sorit à Cannes localisé chez Explor8, je me suis enfin décidé à mettre les mains dessus. Est-ce que c’est bien Robotrick ? Réponse : oui. Mais lisez quand même la suite !
Jeux de plis life
Les jeux de plis c’est la vie. Vous connaissez peut-être l’adage mais force est de constater que les pays asiatiques comme la Corée du Sud et le Japon nous produisent des pépites à la pelle. Nokosu Dice donc, mais aussi Schadenfreude, Gummi Trick, Catstle Builders dont je vous ai parlé ici. Ca envoie du lourd de partout, avec des twists de gameplay dans tous les sens. Je pense que la communauté jeux de plis est la plus satisfaite de toutes les communautés ludiques, cette bande de tapeurs de carton.
Robotrick en est un nouvel exemple : petit jeu avec quelques cartes seulement, une idée de gameplay super intéressante, un twist ou deux et boom pour quelques euros on obtient un vrai bon petit banger.
Sans concessions
Robotrick est un jeu sans concessions, c’est un jeu sincère et simple. Il n’est pas passé par la moulinette occidentale qui lisse les expériences et les tronches de jeux. Un peu comme un élève doué en classe mais qui ne respecte pas trop la méthodologie et qui fait des petits dessins dans la marge. Ce n’est pas un premier de la classe, sans aspérités, qui donne les copies doubles aux autres élèves et qui lève le doigt pour répondre à tout.
Je fais cette métaphore car je la ressens de plus en plus avec des jeux ultra bien produits, qui cochent toutes les cases, dans une compétition féroce de centaines de jeux qui sortent chaque année. Ne lisez pas cet argument comme une critique des jeux bien produits. Mais simplement qu’en jouant à Robotrick et ces jeux du marché asiatique je ressens une espèce de sincérité, de simplicité et de fraîcheur qui me remplit de satisfaction.
Le design de Robotrick n’est pas virtuose par exemple. Il est cute. Il est minimaliste mais il raconte quelque chose. Il est un peu maladroit, il n’y a pas eu 14 réunions de board pour déterminer une charte graphique qui plaira à tel public. Il y a des robots un peu mignons et un peu désuets. Pas des méga robots américains avec +8 en rayon laser, des lasers qui marchent même sous l’eau. Non. Plutôt des aspirateurs de fin de ligne de production. Des robots pour vous aider à faire le jardin.
Le gamedesign de Robotrick est lui aussi sans concession. Un peu âpre, qui ne fait pas de cadeau et qui ne met pas une main autour de l’épaule du joueur qui perd. Vous pouvez vous prendre -30 sur une manche quand l’adversaire en marque 25.
I, Robot
Comment se joue Robotrick ? Dans une formule assez classique au départ : un must follow avec un atout. Ca veut dire que le joueur qui ouvre (le lead) joue une carte avec une valeur, et une couleur. Les autres joueurs doivent suivre la couleur si ils l’ont, et la plus haute valeur gagne le pli. L’atout permet de couper quand on a pas la couleur demandée, et de gagner le pli. Dans Robotrick on peut pisser, ce qui veut dire qu’on est pas obligé de couper, et qu’on peut défausser des cartes…
Chaque joueur reçoit 12 cartes, le robot aussi, que l’on classe par colonnes de couleur. 3 cartes sont retirées du jeu sans qu’on les voie. Une dernière carte est retournée et sera l’atout pour cette manche.
Ok. Mais voici les twists intéressants de Robotrick !
1. Il y a un robot qui joue à chaque tour, en suivant des patterns indiqués par une grande carte de référence. Si le robot suit, il va jouer (par exemple) sa plus haute carte de la couleur demandée. Si il ne suit pas, il va jouer la plus petite carte de sa plus grande colonne. Si il lead, il va jouer la plus haute carte. Ce sont des exemples, et ces patterns changent à chaque manche (il y a 3 manches dans une partie). 3 circuits vous indiquent comment jouer le robot : primaire, secondaire et A,B,C,D si il y a encore des égalités.
2. Quand on gagne un pli, on gagne la carte que le robot a joué. Et ça c’est extraordinaire : il faut constamment estimer ce que les autres vont jouer, ce que le robot va jouer, et si on veut cette carte ou pas. Car les cartes ont une valeur en points : plus cette carte a une valeur haute, moins on a de chances de gagner le pli et donc plus elle rapporte de points. Mais il y a une exception, extraordinaire elle aussi : si c’est le robot qui gagne le pli, alors chaque joueur ramasse sa propre carte jouée dans ce pli. Et ça ça change tout !
3. Ca change tout car dans Robotrick vous allez scorer les trois premières cartes remportées. Toutes les autres seront des points négatifs. Et ça fait mal ! Vous allez passer la quasi-totalité du jeu à ne pas vouloir gagner de plis, à vous créer des coupes non pas pour poser des atouts, mais pour défausser vos cartes.
La carte de patterns du robot
Un bon petit jeu de plis
Explor8 montre qu’ils ont du nez en ce moment, avec Federation, Robotrick et leur futur jeu AI 100% Human. Je trouve leur line-up super solide. Avec son gameplay très tricky et sa tronche sympathique, Robotrick est un vrai bon petit jeu. J’éprouve limite de la tendresse quand je vois ces typos, ces robots et cette iconographie. En quelques cartes le jeu est limite dépaysant tellement il incarne une autre façon de concevoir un jeu. Pour peu que vous soyiez sensibles à ça.
Robotrick ne vous emmènera pas vers des sommets ludiques, mais il a ses doses de fun et de réflexion garantis. Un peu comme un film de genre face à un blockbuster, comme un jeu vidéo indé face à un triple A, il vous montrera ses qualités sans trop en faire. Plutôt très rejouable avec le set-up de départ aléatoire et les cartes de pattern. Il se joue en 25 minutes environ, et uniquement à trois. Pas de concession sur un mode 2 à 4 joueurs. Ca ne fonctionne pas. Un jeu de plis pour trois joueurs, à prendre ou à laisser. Prenez-le.