Evolutions Prismatiques : c’est le nom de la nouvelle collection Pokémon, dans l’arc Ecarlate et Violet, aussi appelée 8.5. Et la sortie de cette collection est un évènement qui n’aurait pas dû avoir une telle ampleur. Mais pourquoi les gens se battent pour se la procurer ?
Les hypermarchés pris d’assaut
Vous l’avez vu sur instagram ou twitter : des vidéos montrant des gens se jetant sur des produits Pokémon à l’ouverture des grandes surfaces. Des scènes que l’on a déjà vu pour d’autres produits de grande consommation, mais une première pour Pokémon.
Une collection qui s’arrache, dans les Carrefour et dans les Auchan du coin. Dans ma petite ville, une cinquantaine de personnes se sont retrouvées devant Auchan, une vingtaine devant le Leclerc, autant au Joué Club…et même devant ma boutique de jeux de société, un petit attroupement d’une dizaine de collectionneurs.
Le problème des scalpers
Un scalper, dans le monde des jeux de cartes à collectionner, c’est une personne qui achète en masse des produits au prix de vente boutique/magasin, pour les revendre plus cher sur internet. Ce qui se passe avec Pokémon, c’est que le produit a tellement de valeur qu’il attire les scalpers comme des mouches.
Par exemple, un portfolio évolutions prismatiques que je vends moi 48€, se retrouve sur le net le jour même à 150€. Voilà, c’est ça Pokémon aujourd’hui.
Les scalpers de Pokémon font un business juteux. Leurs systèmes incluent des bots capables de scraper des sites de vente et d’acheter à la seconde où des produits sortent. Ils sont organisés sur des servers Discord, et proposent des paniers à plusieurs milliers d’euros aux membres, tous les jours.
C’est une vraie activité, tout à fait légale d’ailleurs, d’achat et de revente de produits Pokémon. Un marché de spéculation, basé sur la rareté des cartes, et de leur valeur pour de nombreux collectionneurs.
Mais pourquoi cette collection attire-t-elle autant les foules ? A-t-elle quelque chose de particulier ? La réponse est…non. Pas tellement. Le problème, c’est qu’il n’y a plus aucun produit Pokémon disponible. Et pour ça, il faut analyser ce que fait Asmodée, le distributeur exclusif de Pokémon en France.
La rareté organisée ?
Je gère une boutique de jeux de société, et j’achète en permanence des produits Pokémon à Asmodée, immense organisation à plusieurs centaines de millions de Chiffre d’Affaires. Et clairement, nous ne pouvons quasiment rien commander, en termes de quantité. Les boutiques spécialisées, pourtant les plus à même de satisfaire les collectionneurs, ne pèsent pas le poids face aux GSS (Grandes Surfaces).
Asmodée privilégie la disponibilité de Pokémon dans les Grandes Surfaces, car c’est un énorme client, et Asmodée c’est une entreprise avant tout. Mais ce faisant, Asmodée fait le jeu des scalpers (une grande surface peut difficilement limiter les achats de chaque client), au détriment des collectionneurs.
Car pour les collectionneurs, Pokémon représente un coût exorbitant désormais, puisque leur jeu n’est plus achetable en boutique. Ils doivent aller sur le net et acheter au prix fixé par les internautes.
Un bundle vendu 30€ en magasin vaut désormais 110€, par exemple.
Asmodée, en choisissant ce modèle, fait le jeu des scalpers. Asmodée est devenu un intermédiaire dans la distribution de Pokémon.
A quoi joue Asmodée et The Pokémon Company ?
Difficile de savoir ce que fait Asmodée en France avec Pokémon. Bien malin celui qui déduit des stratégies sans avoir tous les éléments en main. Peut-être qu’il y a des problèmes d’impression, peut-être que le budget alloué au jeu est limité. Je serai curieux de connaître l’avis de The Pokémon Company sur la situation en France, avec un jeu quasiment pas joué, et qui est à la merci du marché de seconde main.
Alors certes ils doivent aimer avant tout les euros, mais quand on sait que la spéculation est très mal vue au Japon, et que le jeu est à la base destiné aux enfants, ça fait bizarre. Aucun enfant ne touchera une seule carte d’évolutions prismatiques en France.
Toujours est-il que Pokémon est mal distribué : les collections passées sont introuvables (même celles qui datent de 6 mois en arrière), et il n’ y a absolument rien à acheter sur le site d’Asmodée en tant que pro. Le désert. Quand on voit que le monde entier ouvre du 151, ou d’autres collections, par palettes entières, mais qu’en France, c’est pénurie, il y a de quoi se questionner.
Et Pokémon n’est pas le seul jeu qui souffre de problèmes de distribution : Asmodée gère Star Wars Unlimited et même si le jeu a un an, le lancement a été compliqué. Pas de produits disponibles, lancement en collision avec la campagne Altered…Altered justement, qui après un kickstarter historique, propose des quantités faméliques de sont set 1 au déploiement en boutique…
Dans le marché TCG, je pense cependant que la critique est facile, et que l’art est difficile ! Surtout quand on ne prend pas les risques, et quand la pénurie fait monter la hype du jeu par un mécanisme de FOMO bien connu dans la psychologie de la vente.
L’import, nouvel Eldorado ?
Puisqu’il n’y a plus de produits français disponibles, ou qu’ils sont vendus à des prix exorbitants, des acteurs du milieu du TCG se tournent vers l’import. Acheter du Pokémon en Japonais, en Chinois, et même en Coréen devient de plus en plus courant. Difficile à mettre en place, puisqu’il faut trouver un distributeur au Japon ou dans ces pays. Mais une fois les problèmes de douane et de réseau solutionnés, c’est un immense jackpot !
La preuve, import_pokepoke qui assume vendre 10000 displays de la collection Terasta Festival…soit un petit million d’euros de CA réalisé sur une opération.
Pour un collectionneur, mieux vaut alors se tourner vers l’import pour le prix, pour le taux de drop, et pour éviter les embrouilles avec des scalpers dont les envois peuvent être moins soignés, ou carrément frauduleux. Avoir un SAV, et des sécurités de paiement, c’est plus confortable qu’un rdv à minuit sur un parking.
Et aussi, les collectionneurs et les joueurs en ont marre. Pokémon n’est pas qu’un produit de spéculation, c’est un jeu, c’est un univers, dont les scalpers sont souvent étrangers.
Quel avenir pour Pokémon en France ?
Quelles sont les solutions pour endiguer le phénomène des scalpers et le marché secondaire ? Laissez-moi prendre ma plus belle boule de cristal ! Les premières pistes seraient évidemment d’imprimer des cartes, pour rendre le jeu disponible dans tous les réseaux de vente, en quantité. Cela limitera automatiquement l’intérêt du scalp. Après vu l’inertie du truc (imprimer des séries ce n’est pas juste appuyer sur un bouton), j’ai un peu peur pour les 6 prochains mois. Même si cela semble être sur les rails :
— Pokémon TCG (@PokemonTCG) January 15, 2025
Je pense qu’Asmodée devrait aussi remettre le jeu dans les boutiques, en plus des grandes surfaces, là où les joueurs et les collectionneurs ont envie d’aller. C’est dans les boutiques et associations que les communautés se montent, pas dans les rayons de Carrefour. Et si le jeu est réservé à des adultes spéculateurs, il mourra avec leur génération.
Bon Pokémon ne peut pas mourir, certes, mais le TCG va souffrir de la situation si elle perdure.