Juillet 2018, je deviens, par des circonstances hors de mon contrôle, l’heureux possesseur de l’ultimate édition du jeu Mage Knight. Un jeu dont la réputation le précède, même si comme moi, on se trouve à distance du domaine du jeu de société : Mage Knight est un grand jeu épique, complexe et éprouvant.
Tout droit sorti de l’esprit fiévreux de Vlaada Chvatil, célèbre créateur de jeu de société qui, plus tard, livrera au monde le célèbre Codenames, Mage Knight est un jeu qui tremble sous le poids de son ambition : la boite est disproportionnée et les parties sont interminables.
5 ans plus tard, je me suis séparé de ce mastodonte sur un constat simple : mon groupe de jeu et moi-même sommes incapables de terminer une partie… Alors quel est le problème avec ce jeu ?
Pourquoi se contenter d’un unique problème ?
Le but de cet article n’est pas de déglinguer le jeu. Comme l’indique le titre, j’ai adoré Mage Knight, mais le jeu présente un certain nombre de problèmes qui, je pense, auraient pu être gommés. Je vais donc aligner les critiques, comme ces critiques haineux, avides de bons mots et ivres de colère, avant de terminer sur les raisons qui m’ont empêché de me débarrasser de cette horreur après la première partie abandonnée.
Énormément de matos, de qualité aléatoire
Le premier contact avec Mage Knight est à 2 vitesses :
- Dans un premier temps, on est abasourdie par la quantité de trucs qui se trouvent dans cette énorme boite. On y trouve des cartes, des tuiles, des figurines peintes, des dés, des jetons, et un nombre incalculable de livrets de règles.
- Dans un deuxième temps, on capte que les figurines sont assez grossières, voir laides, que les cartes sont rugueuses, pas toujours très jolies et qu’à un moment, il va falloir les lire, ces fichus livrets de règles.
A l’époque, je venais de me séparer de Zombicide : Black Plague pour investir dans le Kickstarter de Batman Gotham City Chronicles. J’avais donc le nez dans les figurines des jeux de plateau. Découvrir des figurines pré-peintes fut une bonne surprise, mais plusieurs soucis sont venus gâcher la fête : si l’on les compare aux illustrations des cartes, un constat s’impose, il est souvent difficile de reconnaitre la filiation entre les 2 personnages. La peinture bave et les traits sont grossiers. J’ai entrepris de retoucher les modèles avec mon matériel de peinture, donnant un peu plus de relief par ici, précisant les vêtements par là… Je n’ai pas été en mesure d’accomplir des miracles mais j’ai fais ce que j’ai pu.
En ce qui concerne les cartes, c’est du chipotage de joueur de Magic The Gathering, rien n’est trop grave à ce niveau-là. Disons que pour le prix de la boite et en comparaison de ce qui se fait aujourd’hui dans des gammes de prix proches (je pense notamment à Gloomhaven qui fout une énorme coup de pelle à ce jeu à beaucoup de niveaux), on est en droit de réclamer de meilleures finitions. S’il faut encore dépenser 30 euros dans des sleeves, c’est un peu déconné. Mais je chipote.
Un livret de règles rédigé en dépit du bon sens
Bon c’est pas tout ça, mais faut lire les règles si on souhaite jouer un jour. C’est moi le propriétaire du machin, donc c’est à moi de m’y coller. J’exagère quand je dis qu’il y a un nombre incalculable de livrets, en vérité il y en a 3 + 2 feuillets détaillant des créatures et et cartes.
- Le premier livret sert pour installer et expliquer la partie d’initiation. Une partie raccourci qui, si vous êtes bien organisé, durera 3 heures. Je l’ai testé 2 fois, en comptant l’installation et le rangement du matos on tape les 4 heures. Sachant que cette partie n’inclus ABSOLUMENT pas l’intégralité des règles de base. On y apprend les rudiments du jeu, tout au plus.
- Le second livret contient les règles… qui ne se trouvent pas déjà dans le livret d’initiation. Ce qui est une idée terrible, compte-tenue de l’organisation des différents livrets.
- Le dernier livret contient les règles des extensions, car Mage Knight Ultimate edition contient pas moins de 3 extensions. J’ai laissé ce dernier de côté, car il y a déjà fort à faire avec le jeu de base.
Les règles de base du jeu sont relativement aisée à comprendre, mais il y a un nombre incalculable de sous-systèmes et d’exceptions qui rendent le tout opaque au possible. Pour couronner le tout, les designers ont prit une décision ignoble : les livrets sont organisés, non pas par thématique mais par phases de jeu. Ainsi, pour nous expliquer les règles, on doit chercher à quelle phase de jeu on se trouve et parcourir d’énormes blocs de textes, afin de trouver quoi faire et à quel moment.
Ce ne serait pas un problème majeur si :
- C’était rédigé de façon digeste
- S’il n’y avait pas 200 aller-retours et renvois entre les sections
- SI LES RÈGLES N’ÉTAIENT PAS SÉPARÉES DANS 3 LIVRETS!!!
On est constamment perdu dans les options de jeu, dans les sections et dans les sous-parties. Le livret d’initiation va vous expliquer un petit peu comment fonctionnent les combats, puis on va vous expliquer un petit peu comment fonctionnent les compétences, un petit peu comment fonctionnent les unités, ensuite il faudra passer dans le livret de règles pour compléter cette base, et si par malheur on joue avec des éléments des suppléments, il faudra en référer au troisième manuel etc…
Cela peut être pertinent, dans le cadre d’un jeu plus simple. Ici, il y a tellement d’actions possibles, tellement de situations, d’éléments de jeu et de particularités qu’il est vitale de présenter le fonctionnement du jeu en détaillant clairement chaque élément dans son ensemble.
Les livrets sont tellement affreux à suivre que des fans ont compilés l’ensemble des règles pour les réorganiser au sein d’un unique livret, qui se paye le luxe d’être plus concis. A l’aide d’un code couleur, il détaille chaque élément du jeu, les modifications apportées par les suppléments, et le découpage en chapitres rend le tout plus digeste. Un outil essentiel, pour un jeu qui nécessite d’avoir constamment les règles sous le coude.
Pourtant, à coté de ça, il y a plein de bonnes idées : le jeu propose de visiter un grand nombre de lieux, avec pour chacun, des spécificités qui sont détaillées sur des petites cartes dédiées. La proposition est simple et claire.
A titre de comparaison, je joue au jeu de plateau: Les contrées de l’horreur, sorte de déclinaison d’Horreur à Arkham. Il s’agit de 2 jeux radicalement différents, mais ils ont en commun une certaine démesure : le jeu déborde de cartes et jetons en tout genre, il propose 4 extensions majeures (avec un plateau additionnel) et autant, voir plus, d’extensions mineures. Chaque extension propose son lot de cartes, personnages et mises à jour de règles. Le jeu de base propose, lui-aussi, un livret d’initiation ainsi qu’un livret de règles, auxquels s’ajoutent les feuillets de CHAQUE EXTENSIONS… J’ai du réfléchir à un système afin de réduire au maximum le temps d’installation et de rangement, tant il y a de matériel et de configurations de jeu possible. Et bien j’ai 10 fois plus de facilité à jouer à ce jeu qu’à Mage Knight.
Des parties looooooooooonnnnnnnngues
A moins de disposer d’une pièce dédiée avec une table grande comme un stade de foot, vous ne pourrez pas terminer votre partie de Mage Knight. Passé la partie d’initiation (3 heures, je vous rappelle), vous allez vous retrouver avec du matos dans tous les sens et des objectifs à remplir durant 4 à 6 heures de jeu, si votre équipe connait les règles. La dernière partie qu’on a lancé, on a démarré à vers 16h et on a terminé (sur un abandon) vers 23h30, avec une pause repas au milieu. Il s’agissait d’une partie basique en mode « Conquête totale » avec 4 joueurs.
Pour reprendre la comparaison avec Les contrées de l’horreur, il arrive aussi que les parties s’éternisent et durent jusqu’à 4h, avant de se conclure sur une défaite, parce que le jeu peut se montrer impitoyable. Mais les tours de jeux s’enchainent rapidement et les actions défilent, quand le groupe de jeu est un peu rodé, on avance. Mais avec son système gigantesque, et ses nombreuses possibilités, il faut se rendre à l’évidence : Mage Knight est un jeu trop exigeant pour le commun des mortels.
A ce stade, vous vous dites : ok mec, arrête de tirer sur l’ambulance… oui, mais je vous l’ai annoncé en début d’article, il y a un twist : j’ai gardé le jeu des années, et que j’ai joué une dizaine de parties.
Mais alors, c’est quoi le délire ?
Mage Knight est un jeu qui souffre de sérieux défauts de game-design (les déplacements sont beaucoup trop contraignants, certains lieux proposent des rencontres un poil trop difficiles, ce qui est pour beaucoup dans la durée infinie des parties) et qui ne tient plus la comparaison, face à quelques gros titres venus mettre un gros coup de polish sur le genre, mais à côté de ça, il est ultra cool à jouer.
En combinant des mécaniques d’exploration avec un système de deck building, Mage Knight propose une aventure riche en découvertes, avec un challenge relevé, une quasi-absence du hasard et des approches de jeu variées : il est possible de coopérer entre joueurs, il est aussi possible de se tirer dans les pattes. On peut jouer un mec droit ou tout dévaster sur son passage. Chaque personnage possède une façon de jouer qui lui est propre et les extensions apportent pas mal de nouveautés. Enfin les différents scénarios permettent des configurations de jeu variées.
Avec un groupe de joueurs rodés, beaucoup de temps et des règles carrées, il ne manquerait plus qu’un système de sauvegarde pour faire de ce titre un véritable plaisir. Tenez-vous le pour dit : il n’usurpe pas son titre de grand jeu expert.
A quoi bon ?
Certains jeux sont intimidants et ne sont pas à mettre entre toutes les mains. Des Gloomhaven, des Twilight Imperium ou des Mage Knight sont des Everest ludiques avec une durée de vie immense, qui nécessitent une grande implication (ou une grande pièce dédié au jeu) de la part des joueurs qui souhaitent tenter l’aventure. Il se peut que vous ne trouviez pas votre compte, que le jeu soit trop difficile, trop long, trop grand…
Mais ce n’est pas grave, rien ne vous interdit de tester et de vous éclater dessus sans aller au bout de tout ce qu’ils ont à vous offrir. Revendez vos jeux, Achetez-les à plusieurs, testez-les chez votre revendeur favori, mais ne vous empêchez pas d’essayer un jeu sous prétexte qu’il semble trop complexe, trop long ou trop ce que vous voulez, en effet vous risqueriez de passer à coté de bonnes surprises.