Un débat sur la fiabilité des avis et critiques sur les jeux de société anime les réseaux sociaux. Des créateurs de contenus sont ainsi pressés par des internautes pour ajouter une mention « copie presse » à leurs publications. Cette mention servant à indiquer que le jeu est critiqué sans avoir été acheté, ou envoyé gratuitement par l’éditeur.
La mention copie presse deviendrait ainsi un peu obligatoire sur la moindre story instagram ou vidéo Youtube. A travers ces remarques, l’internaute cherche probablement à recevoir des informations fiables qui ne sont pas édulcorées par la gratuité d’un jeu. Mais il ne rend pas compte que ce faisant, il met en doute l’intégrité de la personne qui réalise la critique.
D’un autre côté, pour les personnes qui produisent du contenu autour des jeux cette mention de copie presse est lourde, pour plusieurs raisons :
- quand on fait du contenu morcelé (story, posts, articles) ça devient pénible de l’indiquer à chaque fois
- c’est moche sur un contenu
- ça sous-entend que notre avis est biaisé
- ça sous-entend aussi qu’on aurait deux façons de produire des contenus, en fonction du prix du jeu
Divers créateurs de contenus se sont ainsi exprimé sur la question : Jeux en Carton, Ben des Recettes Ludiques, Miss Meeple ou Ludikmum.
Qui a raison ? Copie presse ou pas copie presse ? Je tente de démêler quelques arguments ! Avant de rentrer dans les débats, je précise que chacun fait bien comme il l’entend, je n’ai pas de leçons à donner, j’exprime un avis et je parle pour moi.
L’honnêteté
Notre cerveau nous joue des tours : ça s’appelle les biais cognitifs. L’un d’entre eux s’appelle le biais de confirmation. Ca stipule que notre cerveau a tendance à prendre pour vraies des hypothèses qui vont dans le sens de ses croyances ou envies.
Je crois que personnellement, je suis moins honnête dans la critique d’un jeu que j’ai acheté, car même inconsciemment je vais tenter de justifier ma dépense. Par exemple, je viens de recevoir le all-in du jeu ISS Vanguard, ça m’a coûté la moitié d’un SMIC, je sais que je vais avoir tendance à défendre mon achat, même malgré moi.
A contrario un jeu que je reçois d’un éditeur, j’ai tendance à être plus observateur, plus distant, plus juste au final. Et comme je l’ai reçu gratos j’ai envie de montrer à l’éditeur que « je fais bien mon travail ». Et bien faire son travail c’est d’apporter une critique construite, pas d’encenser ou de descendre le jeu.
Au-delà ce ce biais, cette exigence de la mention copie presse me semble complètement surréaliste : difficile d’être un vendu quand on a pas été payé !
Les mauvaises notes
La seule limite qui je trouve est assez vraie, c’est qu’on ne descend que très rarement un jeu. Si il ne nous plaît pas à ce point, on ne le critique pas. Pourtant il y en a des bouses chaque année, mais elles passent sous le radar de la critique. Mais je n’ai jamais constaté de pression ou de demandes de l’éditeur pour parler d’un jeu de telle ou telle façon.
De toute façon la plupart du temps on demande un jeu à un éditeur, en général parce qu’il nous intéresse. Et si on le trouve nul, ce qui arrive je trouve assez rarement maintenant, on parle d’autre chose.
C’est en partie pour ça que sur Campustech vous trouvez principalement des jeux qui ont une note entre 12 et 19/20 : des jeux vraiment indigents ou très nuls on a tendance à les zapper et ne pas perdre de temps avec.
Une relation de confiance
Le problème de la mention copie presse relève aussi de la confiance que vous avec un média, une influençeuse, un créateur de contenus. Moi quand je lis une critique ou que je suis une personne sur les réseaux, c’est que j’ai établi une sorte de connexion (même sans interagir).
Je me doute bien que ce média ou cette personne doive aussi gagner sa vie et cherche à monétiser son contenu, qui lui demande du temps et de l’expertise. Patreon, Crowdfunding, publicité, newsletter : les moyens ne manquent pas et c’est normal.
Mais de là à penser que son avis sera biaisé par la gratuité du produit reçu, non. D’ailleurs souvent cet avis est argumenté, et souvent on va chercher plusieurs avis.
Dans une relation de confiance, la seule chose qui est demandée c’est d’être constructif et d’argumenter une critique ou un avis sans descendre ou dénigrer le travail fait sur un jeu. Et franchement je trouve que les créateurs de contenus font quand même un super boulot : des Recettes Ludiques à First Player, de Rue du jeu au Dépuncheur, d’un Monde de jeux à Vind’jeu, il y a du talent de partout.
Mille petites audiences
Pensez-vous que la presse jeu-vidéo mentionne qu’elle reçoit les jeux des éditeurs ? Qu’un critique cinéma mentionne dans sa critique qu’il a été invité à une projection presse ?
Non. Selon moi il est tout à fait normal et basique de recevoir un produit culturel quand on s’apprête à le critiquer et que notre audience est spécialisée dans le secteur. C’est à l’éditeur de choisir les personnes dont l’influence lui sera bénéfique, en termes de popularité, de qualité de contenu ou de pertinence.
Je pense que les influenceurs importants qui ne se font pas payer au moins occasionnellement pour parler de jeux, c’est le signe évident d’un marché trop niché.
La gratuité du produit est à mon sens une base minimum pour parler d’un jeu quand on a une audience conséquente. Pas obligatoire, mais normale. Je trouve au contraire étonnant que des personnes qui font beaucoup de vues ne se fassent pas payer pour leurs contenus. Le « beaucoup » restant à quantifier.
Cette situation semble profiter aux éditeurs : ils bénéficient du reach d’influenceurs pour pas trop cher. Ca leur coûte une boîte du jeu. Soit entre 5 et 35€. C’est ridiculement peu cher. Mais les éditeurs sont face à un tout autre problème : combien de fois répéter ce coût apparemment mineur de boîte gratuite, avec en majorité des audiences très resserrées ?
Si 200 créateurs de contenus demandent une boîte, ça devient un vrai budget, et un suivi complexe à mettre en place. Et j’imagine aussi la complexité de gérer les envois de copies presse : ça prend des heures de travail à un des employés de cet éditeur, entre les demandes, les expéditions et le suivi.
Un marché de niche
Si je parle de manque de maturité du média, je vais l’illustrer en le comparant à Twitch et le jeu-vidéo. Des créateurs de contenu se font très bien payer dans le secteur du JV, pour faire des opérations commerciales. Pour un jeu qui s’apprête à sortir, le fait qu’il soit joué par Antoine Daniel ou Baghera Jones lui donne une incroyable visibilité. Et donc des retombées directes pour les éditeurs. Mais on parle de dizaines de milliers de personnes qui voient ces contenus, pendant des heures.
Et ces streamers se font grassement payer, pour certaines opérations. Et c’est mérité. On est pas dans les mêmes sphères de taille de marché évidemment, et les streamers qui en vivent ne sont pas si nombreux.
La situation n’est pas aussi claire dans le média du jeu de société. Car le produit est trop niché. Je ne connais pas les audiences exactes de Maxildan, de Pénélope Gaming ou de Girl dot Game sur Twitch, mais elles sont incomparables à celles des top streamers jeu-vidéo. Donc les retombées sont moins quantifiables, plus diluées.
A la défense des éditeurs aussi, les échanges ne sont pas directs comme dans le cas d’e-commerce lors de partenariats. Un éditeur choisit ses influenceurs, essaye de faire monter la sauce du jeu en question, et par effet de domino via les boutiques, que le jeu se vende.
Mais le fait de donner x euros à un influenceur et constater combien il en a rapporté via ses contenus c’est difficile. Ce n’est pas aussi mécanique qu’un mec de Dubaï qui vante un parfum et qui rapporte x euros sur le e-commerce de la marque.
Si un éditeur JV conclut une opération avec Squeezie, il peut voir en direct les ventes Steam s’envoler. Il est impossible de mesurer aussi précisément les ventes de jeux de société, qui se passent en boutiques pour la plupart.
Moins cher que gratuit ?
Je ne gagne pas assez d’argent avec les jeux sur Campustech pour que quiconque puisse me dire que je suis un vendu. Pire : j’ai même hâte d’être payé pour ça un jour et de mener ce débat autrement.
A ma connaissance il y a une dizaine de personnes qui sont payées dans le milieu pour parler de jeux. Des personnes au talent incroyable qui se démènent et font du contenu de fou. Mais pour l’immense majorité c’est une passion sans rémunération et c’est tout.
En vrai dans l’échange influenceur/éditeur le prix de la boîte on s’en fiche un peu. Il y a un intérêt mutuel avec les éditeurs : gagner de l’audience. Sur Campustech le fait de recevoir des jeux nous permet de faire grandir le site, de gagner un peu d’argent via la pub, de fidéliser une audience. C’est une base. C’est sûr que le jour où on fait 50000 vues par critique, on commencera à faire payer pour ça. En attendant la copie presse nous permet de travailler correctement.
Une tempête dans un verre d’eau
J’ai bien conscience que ce débat n’est pas un énorme schisme dans le monde du jeu de société. Il s’agit de quelques comportements isolés. Et je comprends le besoin de transparence ou que les internautes se sentent perdus dans une offre de 1500 jeux annuels.
Mais pour conclure, je trouve que la mention copie presse n’est pas pertinente. Côté éditeurs et côté créateurs de contenus, je n’ai jamais observé de comportement manipulateur. Et vu la passion et l’énergie que mettent certains dans la fabrication de leurs contenus, c’est sûr que c’est pas pour gratter une boîte à 34€.
En tout cas sur Campustech on ne tient pas compte de l’origine de la boîte pour en parler. Parfois on les reçoit de l’éditeur. Parfois on les achète. Parfois je les achète et je les donne à un rédacteur/rice. Peu importe, l’idée est d’en faire un article intéressant à lire.
Et de toute façon, l’objectivité absolue est impossible à atteindre, et quand bien même elle serait pénible. Perso j’adore lire des critiques déraisonnables, où des gens qui adorent un jeu mal-aimé de tous. Qui défendent avec des arguments un peu pétés un obscur jeu de plis japonais. Ou Catan.
Ca ne dépend jamais du prix payé pour obtenir le jeu.
Intéressant cet article, avec des arguments qui feront sûrement chouiner les chevaliers blancs de cette petite communauté 🙂
Mon cas est un peu à part car mes partenariats ne visent pas cette fameuse communauté mais plutôt un public de novices et de curieux avec qui j’ai des prestations, je préfère ainsi leur proposer les jeux de petits éditeurs, plutôt qu’une production mainstream que je considère comme trop coûteuse, et globalement inintéressante (re-thématisation fréquentes, auteurs proposant toujours les mêmes choses, etc..). Et donc, même si je mentionne toujours dans le texte s’il s’agit d’envois des éditeurs, mon public s’en moque, et au contraire, trouve cela cool. Par contre, je suis totalement isolé de la communauté francophone, les contenus vidéos m’apparaissant comme peu diversifiés, tous calqués sur le même modèle. Il me semble que c’est là une mauvaise stratégie globale, tant du côté des éditeurs français, qui envoient des SP toujours aux mêmes chaînes, que du côté des influenceurs, cherchant à faire le buzz en enchaînant les mêmes jeux à un rythme démentiel. Hormis quelques chaînes comme les Recettes ludiques par exemple, c’est là il me semble que se trouve la problématique des services-presses.
Le soucis n’est pas tant l’intégrité des influenceur•euses, mais le flou dans la nouvelle législation européenne les concernant.
En effet, cette législation ne fait pas vraiment la distinction entre rémunération en nature (les boîtes) et la mise à disposition du matériel minimum pour que les intéressé•es puissent bosser dessus.
Par prudence, et éviter les amendes inutiles, et en attendant une jurisprudence plus claire, les influenceur•euses vont donc un peu être condamnés à mentionner ces SP dans leurs contenus .
La difficulté est dans le statut des « influenceurs ».
Ils font une activité ni déclarée,ni salariée, ni rémunérée. Donc en gros du bénévolat.
Cependant, ils sont un réel outil marketing pour les éditeurs.
Certes on ne peut pas mesurer leur impact « direct », pas comme une pub Facebook qui a un tracker et sait que vous avez acheté le jeu car vous avez vu la pub a cet endroit spécifique. Mais plus comme un panneau publicitaire ou une pub TV. On sait plus ou moins l’audience (le nombre d’impressions) mais on ne sait pas si cette impression est transformée en achat. (PS c’est un bon moyen de savoir combien on vaut en tant qu’influenceur, allez vous comparer à Google ads )
Mais on paye tout de même une régie publicite pour aller placarder les affiches de films où diffuser son spot sur plusieurs chaînes… Alors pourquoi pas les influenceurs ?
Je suis surpris qu’une « régie influenceurs » n’aie pas encore vue le jour pour gérer tout ça pour les éditeurs (qui veut monter sa startup avec moi ? Appel a volontaire !)
Alors quid de la boîte gratuite ?
La difficulté de la comparaison avec la critique de cinéma c’est que la critique est rémunérée par le journal, le magasine, le site, pour donner son avis. Alors que l’influenceur n’est pas rémunéré, mais en tant que volontaire, il cherche a réduire ses dépenses pour faire ce qu’il aime. Donc un jeu gratuit devient alors une sorte de rémunération. De plus si on n’est pas « bon » au regard de l’éditeur, on risque de ne plus recevoir de boîtes… Et donc on a, de facon sous entendue, une sorte de contrat induit: fait une revue comme je l’entend et tu auras des boites gratuites.
Et alors oui, contrairement à la critique qui va tuer un film mais recevez tout de même ses tickets pour la prochaine scéance, l’influenceur est sur la sellette.
La faute à la multiplication des influenceurs ? Peut être, plus on est « gros » plus on est fort dans la négociation et donc plus on a de liberté dans son contenu.
C’est une question sans fin. Sur laquelle je n’ai pas forcément d’avis car je prends tout ce qui vient des influenceurs avec un oeil critique par défaut. Mais la limite entre la personne lambda et l’influenceurs en devenir, et le gros influenceur rémunéré n’est pas claire. Seuls le nombre de followers peut nous laisser deviner du « statut » … Mais encore.
Si je prends l’exemple professionnel auquel je fait face. Des que je reçois une attention d’un soustraitant, qui a, potentiellement en tete de m’influencer dans mes futures decisions, je dois le déclarer dans un outil dédier dès que l’on passe les 50 euros de valeur. Donc si le sous-traitant me donne un ticket pour aller voir le foot. Je dois le declarer, voir le refuser si la valeur est trop « haute ». Il n’y a pas de règles fixes, mais des règles de bon sens et je pense que seul le bon sens pourra sauver cette question de copie presse.
Je me suis sûrement éparpillé un peu partout. Mais voilà ma contribution, courage aux volontaires.
Ah j’avais oublié le point, qui selon moi est pire que la copie presse.
Les influenceurs qui sont payés par le monde du jeu mais continue de faire du contenu sur un compte perso et donc foutent encore plus les ligne.
Ces gens sont maintenant chef de produit, ou community manager ou vendeur en magasin etc. Mais rien ne l’indique sur leur profil perso, qu’ils utilisent pourtant pour nous partager leur vie. Et leur vie c’est aussi en partie leur travail.
Alors ils sont dans le monde ludiques et donc doivent ils nous le dire ?
Dois je mettre sur mon profil que je bosse chez Airbus pour que vous ne vous mépreniez pas et n’achetiez pas un avion sous mon influence ?
Difficile ce monde qui mélange tout …
en effet ça c’est le plus flou, un influenceur qui a un travail pro a coté chez un éditeur, ou quelqu’un de proche de lui d’ailleurs, qui pourrait l’influencer lui meme a mot cachés 🙂
Merci pour cet article
Je l’indique sur mes retours sur ma page Riock’n Roll sur Facebook, comme tu le dis, ça change pas grand chose à mon avis, mais c’est pour moi une façon d’être transparent même si je suis petit (mes retours font entre 4000 et 14000 vues en ce moment)
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Mais attention, la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux (1) a lire ici : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047663185 demande :
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Si vous êtes influenceur-euse :
https://www.economie.gouv.fr/suis-je-influenceur-demarches
D’indiquer une mention :
https://www.economie.gouv.fr/influenceurs-quels-sont-mes-devoirs
Je suis pas juriste, donc je sais pas si cela s’applique quand nous n’avons pas de contrat …
A voir …
Je trouve que cet article aborde la question des influenceurs ludiques avec beaucoup de naïveté.
L’enthousiasme forcé, la faible qualité générale des critiques, l’omniprésence des « coups de coeur », font que les influenceurs sont souvent perçus (parfois à tort, souvent à raison) comme le relais de la com’ des éditeurs et non comme de véritables critiques, capable de donner un avis clair et argumenté sur les jeux.
La pression des éditeurs est plus subtile que la menace directe. Prendre le risque de parler négativement d’un jeu, c’est être assurer de ne plus jamais recevoir de « copie presse » de la part d’éditeurs bien connus. La liberté éditoriale se limitant à aimer ou se taire.
Pire, certains influenceurs profitent de l’absence de contrôle pour passer sous silence des mis en avant de jeux ayant fait l’objet d’une rémunération. J’ai pu en avoir la confirmation (en off) de la part d’éditeurs. Tous n’agissent pas ainsi mais on parle tout de même d’influenceurs qui ont pignon sur rue (dont certains sont mentionnés dans cet article).
Oui, cette demande de mention « copie presse » est absurde car les boites gratuites sont nécessaires pour pouvoir faire de la critique une activité pérenne. Elle est néanmoins la preuve d’une défiance d’une partie du public vis à vis des influenceurs. Il serait bon, à mon sens, de chercher à renouer le dialogue avec eux et à montrer des signes de bonne volonté.