Alien: Earth est sans doute la réinvention la plus ambitieuse de la saga depuis des années. Créée par Noah Hawley (Fargo), cette série télévisée déborde de confiance et installe dès ses deux premiers épisodes une atmosphère suffocante, où l’horreur se mêle à une réflexion glaçante sur l’avenir de l’humanité. Je ne vais pas me lancer dans une critique de la série, mais voici mes impressions après deux épisodes.
Un futur sous emprise
Nous sommes en 2120, dans un monde où les corporations règnent en maîtres. La plus célèbre de la saga, la Weyland-Yutani, explore l’espace à a recherche d’armes, de ressources pour asseoir sa domination. L’avenir de l’humanité dépend d’une course à l’immortalité, opposant trois technologies : les cyborgs, les synthétiques et les hybrides. C’est cette dernière option qui attire toutes les attentions, lorsque Prodigy, un laboratoire ultrapuissant, réussit le premier transfert de conscience humaine dans un corps artificiel.
Ainsi naît Wendy, interprétée de manière magistrale par Sydney Chandler, une jeune fille condamnée par la maladie mais désormais ressuscitée dans un corps synthétique. Figure troublante, à la fois naïve et inquiétante, elle s’impose immédiatement comme le cœur battant – ou plutôt artificiel – de la série. On pense immédiatement à des figures comme Motoko de Ghost in the Shell, ou à Gally de Gunnm. Et bien sûr à Ripley, le visage de la saga Alien, qui se doit de conserver une femme comme personnage principal.
Wendy pose les enjeux philosophiques de la série : qu’est-ce qui fait qu’on est humains ? La biologie ? La conscience ? Elle sert aussi à fissurer le cadre des corpos, qui cherchent à produire des objets, des concepts, mais qui, en les dotant de conscience, leur donne un moyen de leur échapper.
Une double intrigue sous tension
Sur Terre, Wendy devient le centre d’un groupe d’enfants-soldats artificiels, guidés par Kirsh (Timothy Olyphant), mentor et figure paternelle, un peu sous-développée pour l’instant. Mais l’action se dédouble dans l’espace, où un équipage humain ramène sur Terre des créatures extraterrestres en guise de cargaison. Comme dans les films, ça se passe mal pour l’équipage en stase.
Quand elles s’échappent, le carnage est inévitable. Seul Morrow, cyborg implacable au service de la corporation Weyland-Yutani, survit… avant que le vaisseau ne s’écrase sur Terre, ramenant ces créatures au cœur d’une mégalopole. Les consignes de la corpo étant de ramener coûte que coûte ces formes de vie…Morrow est l’un des persos les plus intéressants je pense, et j’ai hâte de voir son développement.
Le retour des cauchemars
Les créatures, véritables icônes de la franchise, sont ici revisitées sans perdre leur force d’épouvante. On croise un insecte suintant rappelant une sangsue, un globe oculaire arachnéen et bien sûr un xénomorphe plus humanoïde que jamais. Chaque apparition est un choc visuel, chaque attaque laisse derrière elle des tableaux macabres qui rappellent les mises en scène sanglantes de Hannibal.
La série insiste d’ailleurs un peu trop à mon goût sur ces effets gore, même si quand ils sont contextualisés, ils servent un propos. Comme cet appartement bourgeois décadent, dont les participants trouvent leur anathème dans la gueule du xénomorphe…J’espère que la série va développer un peu plus l’état du monde, et les enjeux sociaux liés au fait d’être gouverné par des entreprises.
Des personnages marquants
Si Alien Earth fonctionne bien, c’est aussi grâce à un casting parfaitement choisi. Alex Lawther (vu dans Andor) incarne Hermit, frère de Wendy, avec une résignation glaçante. Sydney Chandler apporte une ambiguïté fascinante à son rôle de première hybride. Et Samuel Blenkin (Peaky Blinders, Black Mirror), dans la peau de Boy Kavalier, PDG visionnaire et manipulateur de Prodigy, est génial à chaque apparition : ce jeune génie excentrique, aussi brillant que dangereux, incarne à merveille le délire technologique qui menace de tout faire basculer.
Un mix des milliardaires de notre monde réel, entre Bezos, Musk ou Zuckerberg, imbus de leur personne, et qui s’auto-évaluent comme des génies visionnaires sans le moindre recul sur leurs actions. Kavalier est un peu de tout ça, servi par un entourage de carpettes yes-men.
Une bonne série ?
Dans la mise en scène obsédante, les surimpressions d’images, le côté précog de Wendy, Alien Earth jette de bonnes bases. Les décors full béton défoncé par un crash dantesque, les fêlures d’une société sans nature ni humanité pour l’instant, peignent un portrait décadent et totalitaire. Les créatures répugnantes viennent bouleverser une société qui a besoin d’être secouée, mais qui paie le prix fort de son inaction quand la révolution lui échappe et ne vient pas d’elle-même.
Les regards hantés des protagonistes, paumés et serviles, semblent trouver dans le drame et l’horreur des moments d’humanité. L’avenir de la série se jouera là, dans la capacité d’utiliser les aliens pour raconter les humains et leurs relations, les enjeux politiques et sociaux qui se délient quand des évènements font exploser toutes les normes.
Côté fan-service, je l’ai trouvé un poil trop évident, avec les postures et les gimmicks récurrents de la saga : le bisou xénomorphe, les oeufs dans la brume, le filet de bave suintant. Mais pour les nouveaux venus, c’était peut-être nécessaire.
Alien: Earth porte les enjeux dramatiques inhérents à la saga, dans un format qui lui laisse enfin le temps de les poser. Contrairement aux films Alien, la série dispose de plusieurs dizaines d’heures pour raconter un futur horrifique, perturbé par une vie extraterrestre sauvage et incontrôlable. J’ai toujours aimé Alien pour l’angle corpos/SF, moins pour le côté horreur/space marines. Et pour une fois, une oeuvre aura la latitude pour explorer les deux.
Oh and by the way, le jeu de rôle Alien le fait déjà la perfection !