En plein visionnage de la mini-série Adolescence, disponible sur Netflix, je me suis pris comme tout le monde un gros coup de poing dans la face. Les thématiques abordées, mixées avec une mise en scène éreintante donnent des épisodes à vivre en apnée totale. Je vous en parle dans un article sans spoilers. C’est brillant, c’est british, c’est Adolescence.
La toxicité masculine
Le sujet principal d’Adolescence est la toxicité masculine. Le show n’a pas peur d’aborder ce sujet frontalement, en nommant Andrew Tate et les théories fumeuses qui plombent l’esprit des jeunes hommes, et qui les rendent violents envers les femmes. La série parle des incels, ces célibataires involontaires, qui transforment en une haine des femmes leur incapacité à nouer des relations avec ces dernières.
En quelques scènes tournées dans un lycée anglais, on comprend très vite comment un groupe d’amis se saisit de ces théories abjectes pour interagir avec les filles de leur âge de manière dramatique. La pression sur les protagonistes féminins est intense, et les instances éducatives semblent complètement dépassées par ces phénomènes.
Adolescence n’est pas une énième série à propos d’un tueur fou, elle traite des personnes responsables des violences faites aux femmes : les hommes qui sont leurs amis, leurs proches, leur famille. Adolescence parle des modèles qui façonnent une masculinité toxique, violente, fragile.

Le langage Insta
Ces phénomènes émergent aussi en raison de leur côté cryptique, via les réseaux sociaux, où un simple emoji innocent cache en réalité beaucoup de sens pour qui sait le lire. La police, le lycée, personne ne comprend ce qui se joue sur instagram pour ces jeunes, qui ont inventé un langage et des codes, comme toute génération avant eux.
Sauf qu’avec les réseaux sociaux ce sont des milliers d’images, de vidéos, et d’interactions qui sont possibles, 24/7. La représentation de soi y est jugée en permanence, et chaque détail de la vie des ados devient un élément de storytelling, qui peut vite prendre des proportions dramatiques. Adolescence démontre en quelques minutes le gouffre générationnel entre les adultes et les ados, et l’urgence de parler le même langage pour se comprendre.
L’éducation au lycée
Des profs dépassés, des élèves sans aucune gêne, des téléphones partout…dure époque pour enseigner à des adolescents quoi que ce soit, eux qui ont toutes les connaissances du monde dans la main. En quelques scènes la vie d’un lycée anglais est mise à mal, par des élèves au comportement odieux, des adultes qui ferment les yeux.
Encore une fois, les comportements des groupes masculins accentuent la méchanceté, la violence des échanges entre élèves.
Les relations ados-parents
Adolescence c’est aussi une tentative d’exposition de la difficulté de communiquer entre ados et parents. Ce qui relève de l’enfance n’est plus, et les sujets de préoccupation deviennent communs entre un fils et un père (par exemple). L’autorité ne suffit plus, il faut désormais se comprendre, se parler, et tout parent qui a vu son enfant devenir adolescent me comprendra.
A travers deux relations totalement différentes, Adolescence expose ce sujet de manière éclatante. Deux pères, deux fils et pas la même vie. Mais les mêmes difficultés à établir des liens forts.
Des plans-séquence ahurissants
Si Adolescence m’a convaincu par ses thématiques et sa manière des les aborder, impossible maintenant de ne pas parler de ce qui fait son originalité absolue : sa mise en scène. Car chaque épisode d’Adolescence est tourné en un seul plan séquence de plus d’une heure. Alors déjà c’est une prouesse technique d’un autre monde, car le moindre mouvement de cette chorégraphie hallucinante de 200 personnes est millimétré.
Et les réalisateurs n’hésitent pas à passer d’une voiture à une intervention de police, d’un plan en drone à un portrait à 360, d’une poursuite à pieds à une scène intimiste. Ok. Mais surtout, cet enchaînement sans cut donne une impression d’apnée, une intensité rarement vue à l’écran. Et même si je me rappelle de 1917 ou de la scène d’intro de Breaking News en termes de plans-séquence, là on a le droit à des sensations jamais vécues.
Cette mise en scène brise les codes habituels du champ/contre-champ, des ellipses, de l’éclatement dans le temps. On est sur du temps réel, on suit plusieurs histoires, et la caméra bifurque pour suivre tel ou tel protagoniste. C’est une énorme baffe télévisuelle, un choc comme on en vit rarement dans une vie de cinéphile/serivore.
La performance d’acting
Au milieu de cette mise en scène, il faut imaginer le travail des acteurs, dont la performance est millimétrée je le répète. Imaginez foirer votre ligne de dialogue à la minute 37, il faut tout recommencer depuis le début. Ce qui se traduit par reconstruire tout un décor, reset tout un plateau de techniciens, repositionner des dizaines d’acteurs et de figurants…un enfer ! Mais ce n’est pas tout : d’habitude, on peut demander à un acteur de pleurer. Il va se mettre en condition, la caméra va tourner et la scène capturée sera coupée dans un rush de plusieurs minutes.
Dans Adolescence, c’est impossible ! Les acteurs et les actrices doivent chialer sur commande, à la minute 12 et 28, pas avant ni après ! Car avant ou après ils ont une autre scène où ils font autre chose. Mention spéciale à Stephen Graham, que j’avais adoré dans Boardwalk Empire ou Snatch par exemple. Et si je rajoute que certains acteurs-rices ont probablement moins de 15 ans, ça devient absurde de difficulté.
Et pourtant, Adolescence le fait. Donc courez voir cette série, maintenant.
Un phénomène social
Adolescence est en train de devenir un phénomène social. La série est évoquée au Parlement Anglais, et déclenche des prises de conscience un peu partout. Série n°1 du moment, qui a des chiffres meilleurs que Stranger Things par exemple, elle mérite amplement son explosion médiatique. C’est une oeuvre courageuse, sans concessions, qui redéfinit à sa manière le concept de série TV.
Elle invente un nouveau langage pour nous toucher en plein foie, d’un uppercut dont vous vous souviendrez longtemps.
Vous aviez l’habitude de regarder votre téléphone, pendant une série ? C’est fini.