L’heure est au bilan après le Festival de Vichy. Je me lance dans une analyse de ce qui se joue à travers ce festival, en tant qu’observateur de la presse, et en tant qu’acteur avec ma boutique. Des centaines de jeux vont sortir dans les deux prochains mois, et il y aura des gagnants et des perdants.
Les points positifs
Globalement Vichy est un moment très apprécié : on est au frais dans un lieu superbe, loin de l’agitation de Cannes et de ses plafonds à 1m80, ses dizaines de milliers de festivaliers. Le cadre est parfait. J’ai été surpris aussi du line-up global des éditeurs : après un FIJ que j’avais trouvé abyssal, là les studios ont sorti l’artillerie avec des bangers de partout !
J’ai commandé énormément de jeux suite au salon, dont certains que je n’attendais pas du tout, et qui vont probablement me faire mon chiffre de fin d’année, tout en faisant plaisir à mon petit coeur grenadine de gamer.
Niveau organisation, hormis quelques couacs inévitables quand on accueille plein de gens, je trouve que le salon est plutôt fluide : on peut jouer, se poser, boire un café à toute heure, sortir faire une pause en 2 minutes. Les logements sont accessibles et peu chers.
Un manque de maturité dans la communication ?
Si le Festival de Vichy (ou salon plutôt) accueille pros et public dans d’excellentes conditions, la communication de ses acteurs peut largement progresser. Déjà le Festival lui-même qui fait payer l’entrée à la presse pour qu’elle parle de lui, faut vraiment être dans le jeu de société pour se permettre ce genre de bizarrerie.
Ensuite les distributeurs et éditeurs, qui dans l’ensemble présentent de superbes stands et un vrai soutien pour leur jeux. Mais qui font encore de grosses erreurs de communication à mon sens, par exemple et dans le désordre :
- pitcher 40 jeux à la suite, sans rythme ni variété de support : ça crève les animateurs, et c’est soporifique pour les pros
- donner des sacs aux boutiques qui ne contiennent pas les mêmes jeux, ou carrément ne pas en donner : c’est sûrement un budget, mais faîtes jouer les boutiques à vos bangers, ils vont passer commande le soir-même !
- chez Asmodée, des commerciaux qui ne viennent pas à l’accueil chercher leurs rdv
Pas de TCG ?!!
L’un des points incompréhensibles, que j’ai sorti de la liste ci-dessus, et qui a peut-être d’ailleurs une explication logique que je ne saisis pas, c’est l’absence de TCG sur le salon. Enfin l’absence de TCG Asmodée, car Ravensburger avait bien sorti un joli carousel de cartes Lorcana, la présence d’une personne du staff Lorcana sur place, des infos et des réponses à toutes les questions. Des produits en vitrine aussi.
Mais du côté d’Asmodée, rien, nada. C’est pas comme si les TCG faisaient vivre les boutiques (une bonne partie en tout cas !). Pourquoi on a pas un énorme stand Pokémon, avec une roadmap, des explications sur les allocations ? Pourquoi on a pas des 4x3m One Piece ? Pourquoi on a pas une aile entière pour Magic et Donjons & Dragons ? Je ne me l’explique pas, car pour ma boutique, les TCG sont plus importants que les jeux de société.
On a l’impression que Star Wars Unlimited meurt, soldé sur Philibert en grande partie, mais on a rien sur place pour nous rassurer, nous présenter des plans de déploiement du jeu ? Vraiment, je me demande ce que fait Asmodée. J’imagine que ce n’est pas évident, que l’entreprise est sous-staffée, que plein de choses ne dépendent pas d’eux. Mais voir un stand énorme Don’t Panic Games (force à vous) et pas de stand TCG ? Je veux dire, ça devrait être la préoccupation majeure de toutes les boutiques !
Je n’attends pas nos plus des dizaines de tables pour jouer, ce n’est pas l’objet de cet event, mais un petit stand avec une roadmap et une personne pour nous vanter les mérites du jeu aurait été bienvenue. Il y avait du Flesh and Blood, seul rescapé du line-up TCG Asmodée, malheureusement le seul TCG que je ne fais pas.
Une certaine forme de snobisme vis à vis des TCG est à l’oeuvre, comme si ils n’étaient pas des vrais jeux, qu’ils n’étaient que des objets de collection ou de spéculation ? Alors que plein de boutiques, comme la mienne s’investissent à mort pour les faire vivre. Chez moi ce sont deux soirées TCG par semaine, des avant-premières certains dimanches, des tournois, des Friday Night Magic, de la ligue Pokémon, du Tumulte Altered à gogo.
Du côté d’Altered, récemment séparé d’Asmodée pour sa distribution, la team Equinox a pensé aux boutiques en envoyant Eric Dieulangard nous répondre. Et franchement, merci à lui, je ne sais pas de quoi le futur sera fait mais je pense qu’Equinox fait tout pour développer son jeu, avec un ADN bien à lui, et j’ai envie de les soutenir à mort.
Des solutions ?
La critique est toujours facile, quand on a la posture d’observateur. Ai-je des idées pour améliorer la situation ? Oui. Est-ce que toutes sont bonnes ? Probablement pas. Les voici quand même.
Côté Festival
- Une appli Vichy : à l’instar de Neoludis et ses panneaux à coeurs, faîtes une appli pour tout le Festival où les boutiques peuvent liker les jeux, les mettre en favoris. Et partagez ce data avec les éditeurs ensuite.
- Créez des soirées jeux sur place, en mode libre, pour éviter que les gens se retrouvent en petit comité dans des airbnb un peu partout. Avec des boissons et des food-trucks
- En parlant des food-trucks, je pense qu’il y a moyen de faire mieux que churros-burgers
- Gérez mieux l’entrée du Festival, les boutiques attendent 45mn dehors le matin. Faîtes un QR Code pour les gens qui ont payé, accélérez les processus !
Côté éditeurs/distributeurs
- Comme le jeu-vidéo, réfléchissez à des présentations dynamiques, en vidéo ou en live, en mettant l’accent sur vos bangers
- Donnez des jeux aux boutiques, ou faîtes les payer 5 ou X€ pour pouvoir repartir avec ! Moi par exemple avec mes exemplaires presse ou boutique, dès le vendredi suivant, j’ai fait jouer Dadada, Trucs en Stock, Kinfire Delve. Mes clients se sont hypés dessus et m’en feront commander plein !
- Créez carrément un package Vichy à acheter, au prix de revient pour vous. Nous sommes les premiers ambassadeurs de vos jeux en boutique !
- Un stand pour chaque TCG ? Avec des produits, des annonces, des gens compétents pour en parler ?
En dehors de ces remarques, je reste très satisfait de ce Festival, je pense que c’est mon préféré Essen compris. En termes de timing, de dimensions, d’ambiance, on est bien à Vichy. Dans quel autre festival j’aurais pu jouer à l’improviste à un proto de jeu d’aimants avec le patron de Matagot et Bruno Faidutti ? Aucun !
Trop de jeux
Le secteur ludique produit trop de jeux, c’est un fait. Notre travail en boutique est désormais éditorial : sélectionner 20% de la production en fonction du marché, de nos goûts, de notre positionnement de vendeurs. On ne peut plus couvrir un catalogue entier comme le fait Ludum ou Philibert. On sélectionne. Des gens vont même se spécialiser pour conseiller les boutiques sur leurs achats. Mais cette sélection met à mal des studios moins prolifiques, qui souvent travaillent bien, mais qui sont à flux tendu. Deux « mauvais » jeux pour certains et la faillite menace.
Pour vous donner un exemple, avec mon associé nous allons commander 60 exemplaires d’un jeu auquel on croit beaucoup, et faire l’impasse sur plein d’autres jeux du même distributeur. Le métier pour les boutiques devient de miser sur les bons chevaux, car entre prints timides et offre élargie, il ne faut pas se tromper pour la sainte trinité Octobre-Novembre-Décembre. Quand on se retrouve pas carrément avec des cuts, à la manière de certains TCG.
Ce qui est dommage c’est que si un éditeur produit deux jeux hyper optimisés et chouchoutés, ils seront forcément noyés dans un flux productiviste d’un autre modèle, propice aux GSS, à Amazon, dans lequel il faut occuper l’espace. On est coincés dans le capitalisme, tous autant qu’on est. Le souci étant que le marché va se réguler en tant que marché, pas en considération des humains qui le font. Dans une situation économique qui se resserre, chacun essaye de bouffer et de survivre : Stonemaier Games vend en direct depuis son site, d’autres font du Gamefound. Des intermédiaires sautent, la concurrence mondiale essore tous les modèles.
D’ailleurs, la situation d’Opla en est le parfait exemple. Moins de jeux, produits localement, distribués dans des circuits hors GSS et GAFAM. Et l’entreprise ne survit pas, avalée par le système. Je le vis en boutique tous les jours : des gens qui viennent armés de leur smartphone en main, page amazon ouverte, en train de consulter des avis, sur Carcassonne dans le meilleur des cas. Ou des jeunes qui viennent suite à un Tik-tok savamment marketé. Ces ogres bouffent et boufferont tous les Opla et ceux qui les suivront.
De la créativité
Dans la masse de ces centaines de jeux à paraître, des éditeurs redoublent d’efforts pour nous sortir des pépites. Ambitieuses, créatives, foutues d’avance pour le mass market parfois, mais tant pis. Et j’aime ces propositions.
- Un Dadada, qui propose d’inventer un langage avec 5 sons : c’est débile, ça marche pas avec tout le monde, mais quand ça marche ça crée quelque chose de grandiose, de jamais vu, de tellement drôle.
- Un Thunder Road Vendetta, énorme boîte qui prend Fury Road, le plus grand film d’action de tous les temps (hot take) et qui en fait un jeu d’ambiance surdébile hyper assumé dans ses refs ? Mais take my money !
- Un Walter Keene, qui déploie un jeu d’enquête dans un cimetière en mode analyse d’épitaphes ? Vas-y, défonce les thématiques !
- Un le Phare, qui te fait jouer un poilu en plein PTSD, en proie à des démons alors qu’il prend un job de gardien de phare ? Mais tous les jours !
- Un Light Speed Arena, qui exploite une bataille spatiale installée en 1mn30, et résolue en autant de temps, via une appli ? Allez ça commande.
- Un Le Chat et la Tour, qui revisite le château de cartes en mode coop dynamique ? Superbe.
- Un Once Upon A Line, qui nous régale avec une aventure à gratter sur des mots-croisés ! Inouï.
- Un Petits Soldats, qui crée un fight rigolo sur des boîtes de Benco et votre boîte à crayons ? Génial.
Les auteurs ont des idées, les éditeurs tentent aussi des choses. Comme le Bomb Busters de l’année dernière, le Niwashi, ou le Slay The Spire pour citer mes prefs. Il reste toujours des hybridations à explorer, des langages ludiques à twister. A nous de les acheter, d’en parler, de les mettre en lumière.