Hier je vous ai présenté la nouvelle série sur Disney + : Alien Earth. Et j’ai évoqué toutes ses promesses thématiques, la richesse potentielle de ses personnages, et les raisons de penser que le show pourrait être cool. Aujourd’hui, je vais vous parler du revers de la médaille : les points faibles, les incohérences et les défauts d’Alien Earth.
L’absence de description du monde
Dans ses deux premiers épisodes, la série pose mal ses enjeux. Du moins sans avoir la culture des films Alien, des thématiques SF en général, il est difficile d’y voir autre chose qu’un spectacle action/gore (sympathique au demeurant). Par exemple, le vaisseau se crashe en plein milieu d’une ville, mais on a pas trois plans pour donner vie à cette ville, pour lui donner corps. Et même si le côte bunkerisation de la société semble être un thème inhérent aux corpos, j’aurais aimé voir des gens.
Il nous manque toute une géographie des lieux, de comment vivent les gens, de ce à quoi sert ce bâtiment. Ce crash est terriblement froid, on ne sait pas où on est, on n’est attaché à personne, et on assiste à un sauvetage de cage d’ascenseur sans queue ni tête.
L’ évacuation des civils ne porte aucun enjeu émotionnel, ils ont à peine un visage, y’a deux plans larges et demi pour les montrer. Tout est trop gris, rempli de fumée cache-misère, de plans trop serrés. De la même manière, les enjeux géopolitiques ne sont pas expliqués, hormis cet écran titre qui présente la thématique de l’immortalité. Et si la corpo Prodigy est incarnée à l’écran, où sont les autres ? Certes Weyland-Yutani a un cyborg que l’on voit, mais le reste ?
Et c’est con parce que l’idée d’une corpo (la Weyland-Yitani) qui fait s’écraser un vaisseau plein d’aliens sur les bâtiments d’une autre corpo (Prodigy), comme un acte terroriste (avec l’image des deux tours évidente)(ici trois), c’est vraiment génial. En vrai l’idée de la scène est folle, j’aurais aimé vivre ce crash de l’intérieur, que ça soit dans le vaisseau avec un cyborg à la solde de WY qui veut absolument se crasher ici, contre le reste de l’équipage, alors que tout le monde se bastonne avec des aliens réveillés.
Et aussi la panique côté Prodigy qui doit faire face à cette agression, qui doit protéger ses assets, que sais-je ? Et peut-être qu’un vaisseau spatial qui arrive sur Terre pour se crasher, alors qu’on voit qu’il existe des technologies de type portes des étoiles, ça devrait au moins déclencher quelques systèmes de défense ou des alarmes ?
Peut-être aurait-il fallu présenter un autre endroit, prend un instantané de l’état du monde pour nous immerger un peu plus dans la réalité de 2120.
Le cul entre deux chaises
La série oscille sans arrêt entre les plans copiés-collés sur le film Alien, ou les idées de mises en scène complètement identiques, et des scènes d’action clipesque pleines de flashs et de shaky cams. Et ça ne marche pas. Là où les films prenaient le temps d’installer la peur par la lenteur, par l’insistance d’un angle de caméra, par la création d’angles morts, la série elle bascule soudainement dans des plans hystériques et flous.
Alors on est pas sur le même média, ni sur les mêmes phénomènes d’accroche à l’époque des smartphones et des réseaux sociaux. J’imagine aussi que le xénomorphe en costume et non en CGI joue beaucoup dans le fait de ne pas le voir sur des plans figés qui trahiraient ledit costume, donc bon, ok. Mais avait-on besoin de le voir autant dans les deux premiers épisodes ?
Le xénomorphe fonctionne mieux quand on ne le voit pas, comme dans cette superbe scène ou Morrow, le cyborg à bord du vaisseau, s’enferme dans une capsule blindée, et on voit le xénomorphe frapper le métal et le déformer, dans une idée de mise en scène suffocante de mec (robot) enfermé vivant dans son propre cercueil.
Les enfants de nos enfants
J’ai du mal aussi avec les enfants hybrides, qui dans l’explication actuelle sont des corps synthétiques dans lesquels on a téléchargé une conscience/âme/psyché humaine (ça c’est cool) mais qui restent en théorie des enfants. Il y aura d’ailleurs tout le long de la série un arc narratif autour de la peur, comme avantage évolutif ou pas. Toujours est-il que ces enfants de Neverland et rejetons du syndrome de Peter Pan, ont en théorie 10 à 12 ans, sont envoyés comme membres de l’équipe de sauvetage ? Pourquoi ce risque ?
Une corpo qui joue tout son avenir sur ces enfants les sacrifierait comme ça, parce qu’on doit croire que le trillionaire n’a pas à sa disposition 348 équipes d’intervention pour protéger son projet, sa raison d’exister ? A la rigueur Wendy, qui reconnaît son frère, et qui doit plaider sa cause pour y aller, ok, mais les autres ? Kavalier doit savoir que c’est un vaisseau Weyland qui vient de se crasher dans ses tours, il va pas envoyer ses enfants prodiges au casse-pipe wtf ?
Cela dit, attention, on a que deux épisodes, et les thématiques que portent ces enfants et ce trillionnaire sont hyper intéressantes. La quête d’immortalité, de la jeunesse par extension, sont des thèmes que les milliardaires adorent, parce que le temps est la seule chose qu’ils ne peuvent acheter. Et pour les corpos, tout avantage concurrentiel est décisif, dans un monde sans lois démocratiques.
Au final, je trouve que l’absence d’identité de la série se fait sentir pour l’instant. En même temps elle a deux épisodes, on va lui laisser le temps bien sûr. Mais je suis très mitigé entre les trouvailles thématiques dingues qui alimentent à merveille le propos de la saga Alien, dans ses élans dystopiques, dans son explication du capitalisme, dans le transhumanisme. Et de l’autre côté les besoins de spectacle et de clips horrifiques à base de jump scare, qui pourraient plomber la série et la réduire à un show de cache-cache avec des aliens.
J’ai l’impression de plus projeter des qualités dans Alien Earth qu’elle n’en a réellement, pour l’instant. Mais vu que le show runner a prévu 5 saisons sur dix ans, ne jetons pas le xénomorphe avec l’eau du container, la série aura le temps de s’exprimer.
Avec Andor, Disney+ a prouvé qu’il était possible de produire de vraies bonnes séries, sans édulcoration, sans concessions. Alien Earth la rejoindra-t-elle au panthéon des oeuvres SF ?
